Accueil » La stratégie de la mouche en chute libre

Par Nothias Jean-Luc1

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Résumé : Dépourvues d’oreille interne, les mouches ne peuvent « sentir » une chute comme nous le faisons. Elles parviennent cependant à contrôler leur altitude. Des expériences faites à l’Université d’Aix-Marseille ont montré que les syrphes lancées artificiellement en chute libre utilisent leurs antennes (mesurant le flux d’air) et leur vue (fournissant des repères spatiaux) pour déclencher le battement d’aile salvateur : une « technique » dont les drones, par exemple, pourront s’inspirer.

Contrairement aux vertébrés, les mouches n’ont pas d’oreille interne, celle qui nous permet de nous sentir tomber, même dans le noir. À l’aide de caméras ultra-rapides, des chercheurs marseillais étudient comment des insectes, pourtant sans oreille interne pouvant servir d’accéléromètre, arrivent à retrouver l’équilibre en vol, même en posture difficile.

ENTOMOLOGIE. Aucune de ces héroïnes, voltigeuses hors pair, n’a été blessée. Même celles qui se sont crashées, encaissant juste quelques courts KO. Pourtant, les conditions imposées par les expérimentateurs étaient particulièrement « féroces ». Dans le noir, ou sous une lumière aveuglante, sans compte à rebours, lâchées dans le vide… Comme si nous étions dans une cabine d’ascenseur qui, soudain, décroche sans prévenir, toutes lumières éteintes ! Eh bien, les mouches nous donnent des leçons et des idées. Elles inspirent les chercheurs qui essayent de créer des pilotes autonomes pour de petits drones et/ou des insectes artificiels (travaux publiés dans le Journal of Experimental Biology).

Qui sont ces as du vol ? Ce sont, dans le cadre de ces expériences, des syrphes : des mouches ressemblant à des guêpes ou à des abeilles.

Leurs larves se nourrissent de pucerons et elles se régalent du nectar de fleurs, contribuant ainsi à la pollinisation. Et pour ce faire, elles maîtrisent la technique du vol stationnaire. On estime qu’elles ont 50 000 cellules photoréceptrices dans leurs yeux à facettes, reliées à 18 paires de muscles locomoteurs pour leurs ailes et leurs six pattes, supervisés par un cerveau, certes petit, mais calculateur de trajectoires hors pair.

Mais quelle est leur perception de la gravité, du haut et du bas ? Contrairement aux vertébrés, les mouches n’ont pas d’oreille interne, cet organe qui nous permet, à nous, de nous sentir tomber, même dans le noir. « Tout est parti d’une observation périphérique faite lors d’une expérience destinée à tout autre chose », raconte Stéphane Viollet, chef du laboratoire CNRS de robotique à l’Institut des sciences du mouvement de l’Université Aix-Marseille, qui a dirigé cette étude. « Un chercheur, Romain Goulard, premier signataire de la publication, a remarqué, lors d’“erreurs” de manipulation des mouches, que lorsqu’il les lâchait accidentellement, celles-ci pouvaient chuter jusqu’au sol et se “crasher” sans dommage. D’où l’idée d’aller chercher pourquoi. »

Pour « faire parler » les insectes, les chercheurs ont imaginé une série d’expériences très ingénieuses. Dans un cube transparent de 40 cm de côté, les mouches, les pattes pendantes, ont été « collées » au plafond par une très fine tige de métal fixée sur leur dos, tige reliée à un électroaimant. Sa coupure provoquait le largage de la mouche et une chute libre d’environ 300 millisecondes jusqu’à la base du cube. Sans qu’elles le sachent, les mouches étaient filmées à 1 600 images par seconde par une caméra rapide à très haute résolution. Trois types d’intérieurs des cubes étaient proposés : le noir total, le blanc uniforme par un éclairage venu du haut et un « papier peint » fait d’une alternance de bandes noires et blanches.

L’expérience a été répétée 313 fois. Résultats ? Sans trop de surprise, l’intérieur noir a provoqué des crashs. « Dans 80 % des cas, la mouche déclenche tout de même, mais trop tard – plus de 200 millisecondes –, son battement d’ailes, note Stéphane Viollet. Mais elle ne dispose alors que d’une information, apportée par ses antennes, sur le flux d’air ambiant sans savoir où se trouvent le haut et le bas. Certaines foncent alors vers le bas, accentuant l’impact du crash. »

Dans le cas du cube éclairé, les touchers de sol sont moins nombreux (un peu moins de 30%), car l’insecte bénéficie d’une information supplémentaire grâce à la « réponse lumineuse dorsale » : il peut différencier le ciel, plus clair, du sol plus sombre.

Le vrai changement apparaît avec les bandes contrastées. Moins de 10 % de crashs car les mouches déclenchent leur battement d’ailes bien plus tôt, qui plus est bien orienté pour compenser la chute. « Cette expérience met en lumière l’importance fondamentale de la vision pour le contrôle, s’enthousiasme Stéphane Viollet. Ce qui veut dire que même sans accéléromètre, on peut se diriger de manière autonome. »

Une mouche syrphe juste avant sa chute libre

Une mouche syrphe juste avant sa chute libre
(Stéphane Viollet et Romain Goulard).

Pourquoi vouloir se passer d’accéléromètre ? La première raison est de pouvoir remédier à une panne de l’instrument. « Mais plus encore, c’est de ne pas avoir à dépendre des erreurs possibles du dispositif, explique le chercheur. Il arrive parfois, surtout lors de manœuvres “agressives”, que l’accéléromètre, qui peut mesurer le déplacement de son support dans les 3 dimensions, soit saturé et envoie des informations erronées. Un phénomène que connaissent bien les pilotes de chasse lors du décollage depuis un porte-avions, quand l’accélération est telle que leur oreille interne leur dit que leur avion se cabre alors que ce n’est pas le cas. » Les futurs mini-drones seront certainement dirigés par des pilotes mouches.


1 jlnothlas@lefigaro.fr, s.d.

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