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Par Giertych Marciej

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SOCIÉTÉ

« Il a plu à Dieu qu’on ne pût faire aucun bien aux hommes qu’en les aimant. »

(P. Le Prévost)

La vision globale du christianisme1

Maciej Giertych2

Résumé : La mondialisation en cours, la facilité des échanges et des déplacements, la diffusion de normes et de techniques communes, tout cela se fait sous l’impulsion de l’Occident. Or, selon les travaux de l’historien polonais Feliks Koneczny, une synthèse de plusieurs civilisations est impossible. Si nous voulons préserver ce que nous sommes, il est donc à souhaiter que l’Europe impose au monde entier sa propre civilisation chrétienne, avec son respect des libertés locales et ses traits caractéristiques déjà en cours d’universalisation : une éthique s’imposant aux lois, un gouvernement représentatif, la liberté civile, la famille nucléaire autonome, le principe de subsidiarité (permettant précisément de faire accepter des normes globales), les libertés économiques, le droit romain, etc. Mais il faudra lutter contre les déviations des Occidentaux, en particulier le socialisme étatique et l’immoralité. Une telle mission mondiale pourrait réveiller une Europe devenue consumériste et oublieuse de ses origines chrétiennes.

Le monde rétrécit

La mondialisation s’approche à grands pas. Progressivement nous devenons un village planétaire. Nous nous intégrons à l’échelle mondiale. Nous voyageons sans cesse, pour les affaires ou pour le tourisme, mais toujours plus loin, toujours plus vite, toujours en plus grand nombre. À quoi ressemblera ce monde globalisé qui s’approche ?

Cela dépend de nous. Avons-nous quelque plan particulier à cet égard ?

Peut-être d’autres en ont-ils un qu’ils mettent progressivement en œuvre ? Nous n’aimons pas la plupart des choses que nous voyons. Peut-être devrions-nous nous arrêter et nous demander comment les choses devraient être pour que nous les aimions. Je voudrais montrer ici comment je vois un globalisme chrétien et entamer une discussion sur ce sujet.

Je commencerai par rappeler la plus importante loi de l’Histoire découverte par l’historien et philosophe polonais Feliks Koneczny3: il n’y a pas de mariage viable entre les civilisations. Ces mariages sont impossibles; ils ne réussissent jamais et ne réussiront jamais, ce qui veut dire que tous les plans voulant fusionner les civilisations en une société globale sont nécessairement voués à l’échec. Cessons d’en rêver ! Les diverses civilisations veulent se maintenir et chacune cherchera à s’étendre. Prenons donc soin de l’essor de notre propre civilisation « occidentale, européenne et latine » comme la nomme Koneczny. C’est justement par le processus de mondialisation qu’existe une chance pour le monde entier d’être organisé sur la base de notre civilisation.

La mondialisation est le fruit des efforts de générations d’européens. C’est le monde occidental qui a globalisé le monde, d’abord par les découvertes géographiques, puis par l’expansion coloniale (associée à la christianisation), puis par le progrès technologique et méthodologique et, finalement, par l’informatisation. Les instruments tels que la poste, le télégraphe, le téléphone et l’internet viennent du monde occidental. Nous avons imposé au monde notre calendrier (établi à partir de la naissance du Christ), la division du monde en fuseaux horaires (à partir de Greenwich) des poids et mesures de plus en plus uniformes (les normes du Bureau International des Poids et Mesures de Paris), les mêmes chiffres (dits arabes), des symboles de plus en plus uniformes sur les routes, dans les voitures, sur les ordinateurs, un clavier commun (AZERTY), des événements sportifs (les Jeux Olympiques, le Mondial), des congrès scientifiques dans tous les domaines du savoir, des compétitions artistiques (le concours Chopin, par exemple), etc.

Avant que l’homme ait atteint une célérité supérieure à celle du cheval ou du bateau à voile, le monde était vaste. Mais nous avons eu les chemins de fer, les automobiles, les bateaux à vapeur, les avions, les hélicoptères, autant de découvertes du monde occidental. Aujourd’hui ce n’est plus un problème de vivre dans une ville et de travailler quotidiennement dans une autre. Aujourd’hui ce n’est pas un problème de foncer de Rome à Londres et retour dans le même après-midi, juste pour signer quelque contrat. Passer un week-end dans un pays lointain est devenu possible. La rapidité des liaisons aériennes ne cesse de croître. Dans beaucoup de domaines nous avons une coopération internationale permanente. Nous avons une police mondiale (Interpol), des tribunaux internationaux, les Nations Unies et ses diverses agences (FAO, UNESCO, OMS, etc.), l’Union Postale, la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International. Nous avons une réglementation mondiale des voyages maritimes et aériens. Et, finalement, nous avons de plus en plus une langue commune pour tous ces contacts, l’anglais.

Il y a aussi des accords régionaux. Les alliances militaires telles que l’OTAN, la Ligue Arabe, l’ANZUS (Australie, Nouvelle Zélande, USA), la SADC (Amérique du sud) et la SCO (Shanghai Cooperation Organization: Chine, Russie et Asie centrale) sont des associations de défense fondamentalement opposées entre elles, mais coopérant en fait ; et d’autres alliances mutuelles sont possibles. Il existe diverses unions économiques et politiques (Union Européenne, ALENA, ASEAN, Union Africaine, etc.). Entre celles-ci, non seulement la coopération mais même des unions sont possibles. L’idée même de toutes ces unions vient du monde occidental.

Nous composons une organisation mondiale unique au sens technique. Mais quel sera son esprit ? Nous devons nous battre pour cela. Ce serait bien si notre culture d’organisation de la vie commune suivait la réussite technique du monde occidental.

Ceci est réalisable mais demande un effort dans cette direction. Ceci pourrait apporter une paix durable dans le monde.

Une éthique commune

Les divers peuples du monde ont des éthiques diverses. Certains dispensent l’État de toute obligation éthique: il doit être efficace et couronné de succès. D’autres dispensent le gouvernement des contraintes éthiques: il doit avoir les mains libres. Il peut y avoir deux éthiques différentes, l’une à usage interne et l’autre à usage externe. Il y a des civilisations fondées sur des livres sacrés: la Thora, les Védas, le Coran. À quoi devrait ressembler l’éthique mondiale ? Je pense que, puisque la mondialisation vient de l’Europe, c’est notre éthique occidentale qui devrait dominer le monde. Il s’agit d’une éthique totale: obligatoire pour tout le monde, pour toutes les situations, en matières privées aussi bien que pour les affaires commerciales, sociales, politiques, économiques, nationales et internationales ; la même envers les amis et les ennemis, obligatoire en vertu de son propre principe. Les lois, y compris les lois internationales, devraient être rédigées selon les préceptes de l’éthique. Il est impropre de faire dériver la morale de la loi, même s’il s’agit d’une loi révélée, parce qu’alors l’utilisation abusive de lacunes dans la loi prend le statut de la moralité.

Nous devrions essayer d’enseigner au monde entier notre conception de l’éthique.

Dans notre civilisation occidentale, latine, la morale se développe. On devrait faire l’effort constant d’y travailler. Constamment, nous faisons passer quelque chose de l’éthique vers les lois écrites. Mais l’éthique est antérieure à la loi. Avant de prendre des décisions légales, d’abord à l’échelle nationale puis internationale, il doit exister une approbation morale. La vie apporte sans cesse des nouveautés: ceintures de sécurité dans les voitures, fertilisation in vitro, organismes génétiquement modifiés, taxes égalisatrices, survol des propriétés privées par des aéronefs modèles réduits, etc. Nous devons choisir des normes pour ces inventions. Tout n’est pas immédiatement évident ; il faut une discussion sur les normes pour ces choses, une discussion sur ce qui est l’approche la plus éthique.

C’est seulement lorsque la moralité d’une approche est obtenue que les lois écrites apparaissent.

La tolérance religieuse fait partie de l’éthique chrétienne occidentale. Les adeptes des autres fois méritent le respect, de même que les païens et les athées ; cependant nous attendons que tous ceux-là respectent notre propre foi. Nous devons défendre notre droit à la confesser et sa présence dans le domaine public. D’autre part nous devons nous défendre contre le blasphème, les cultes sataniques et l’intolérance de la part des membres des autres fois. Nous ne voulons pas que l’État se mêle de notre vie religieuse, mais nous voulons que l’État défende notre droit de pratiquer librement notre religion.

Dans notre tradition, ce qu’enseigne l’Église ne regarde pas l’État. D’un autre côté, l’Église a le droit mais aussi le devoir d’intervenir lorsque, dans l’État, les choses ne se passent pas correctement, lorsque la loi morale est transgressée. C’est ainsi que nous comprenons le rôle politique de l’Église, sa place dans le domaine public. Nous aimerions voir ces mêmes relations en vigueur dans le monde entier. Nous devons combattre partout les tendances à nationaliser la religion, à laisser réglementer les religions par le gouvernement. Nous voyons combien il est difficile pour les Chinois d’accepter les nominations d’évêques faites par le Vatican, et d’admettre que celui-ci ne reconnaisse pas ceux qui sont nommés par le gouvernement. Nous voyons qu’en Russie l’Église orthodoxe est toujours soumise au gouvernement du moment ; nous n’y entendons jamais parler de protestation ecclésiastique sur aucun sujet. D’un autre côté, nous sommes impressionnés par la ténacité avec laquelle l’épiscopat américain dit « Non ! » au gouvernement d’Obama à propos de l’assurance obligatoire pour la stérilisation et la contraception. L’Église doit avoir le courage de critiquer le gouvernement. C’est ce genre de relations que nous aimerions voir dans le monde entier.

Aujourd’hui les conversions ne sont pas jugées acceptables ; on critique le prosélytisme. Cependant cette critique ne vise que le travail missionnaire de l’Église catholique, que ce soit en Russie, en Inde, en Chine ou dans le monde islamique. Les musulmans sont très bruyants pour étendre leur foi et gagner des adhérents. Cependant ils punissent de mort leurs apostats.

Toutes les religions ne sont pas missionnaires (par exemple le judaïsme), mais il est dans notre tradition européenne d’accepter la présence active de missionnaires de toute les croyances. Nous admettons les conversions des nôtres, mais nous aimerions avoir le droit de faire œuvre missionnaire dans les autres parties du monde. Nous devons demander fermement que le travail missionnaire soit accepté et non considéré comme quelque chose de négatif. Nos missions catholiques ont apporté non seulement le Christ mais encore une aide réelle dans la vie quotidienne (aide médicale, écoles, assistance charitable). Or nous entendons constamment parler de martyrs parmi les missionnaires ; ce n’est pas un travail facile. Nous devrions nous efforcer d’obtenir la liberté missionnaire exactement comme nous le faisons pour la démocratie.

Démocratie

La démocratie est un concept remontant à la Grèce antique. Cependant nous ne sommes pas seulement héritiers de l’Antiquité mais aussi des idées modernes sur la démocratie qui se sont développées progressivement en Europe, d’abord en Pologne et en Angleterre, puis aux USA. Finalement, les républiques ont remplacé les monarchies absolues dans toute l’Europe. L’État est devenu chose publique (res publica). Dans le reste du monde, partout où la pensée politique européenne a pénétré, des démocraties sont installées. Ce n’est pas facile, mais même des pays absolutistes tels que la Russie ou ceux d’Asie Centrale suivent le rituel de « l’élection » et du « changement de gouvernement ».

Au cœur de la démocratie est la règle de la représentation, ce qui signifie que la population a la possibilité de choisir ses représentants aux assemblées législatives et d’avoir un exécutif de son choix. La séparation de ces deux pouvoirs est une invention européenne. Invention européenne également : la séparation du pouvoir judiciaire et son indépendance des deux autres pouvoirs. Ces principes sont aujourd’hui promus dans le monde entier par l’Occident.

Fréquemment, des pressions, sanctions et avertissements sont imposés à des pays auxquels on demande que leur système dictatorial soit remplacé par la démocratie, que le gouvernement soit séparé des tribunaux, qu’ils respectent la législation et que des organes représentatifs contrôlent le gouvernement.

L’un des principes de base de la démocratie est l’existence d’une opposition ouverte, légale et nécessaire. Nécessaire pour qu’elle puisse critiquer ceux qui détiennent le pouvoir. Une telle opposition est nécessaire, non seulement pour oser critiquer le gouvernement mais pour pouvoir le remplacer si telle était la volonté des citoyens. Le nombre de pays dans le monde où une véritable opposition agit s’accroit.

Une des conditions du fonctionnement normal de l’opposition est la liberté de parole. La censure préventive fut parfois imposée dans des pays européens, mais elle ne vient pas d’Europe et elle devrait être éliminée partout. La tradition européenne, c’est la censure répressive, celle qui intervient après une proclamation publique, pas avant. L’auteur peut être poursuivi lorsqu’il dit des choses interdites: secrets professionnels ou d’État, textes insultants, diffamation, mensonges, blasphèmes, obscénités, etc., mais la transgression doit être prouvée. De l’autre côté, la censure préventive empêche le public d’avoir accès à certaines informations ou opinions, ce grâce à quoi, généralement, le gouvernement se protège contre les critiques. Cherchons à éradiquer cette pratique dans le monde entier. Heureusement le réseau internet, mis au point en Occident, est maintenant largement disponible, rendant futile le recours à la censure.

La base de la démocratie, c’est la liberté civile. Le gouvernement agit habilité par le peuple et non autrement. Le droit de voter et d’être élu est maintenant donné à tous les citoyens et c’est leur privilège essentiel. Autrefois, seule la noblesse élisait le roi (en Pologne). Les femmes ont obtenu le droit de vote en Europe il y a à peine un siècle. Aujourd’hui, même en Inde où les castes sont toujours en vigueur, tous ont le droit de voter et d’être élus. Un citoyen du Japon, de Malaisie ou du Nigeria a, aujourd’hui, le droit de participer aux élections et il peut voter comme il le veut. Ceci existe parce que ces pays suivent l’exemple du monde occidental.

Grâce à l’enseignement de l’Église catholique, l’esclavage a été aboli, en Europe d’abord puis progressivement dans le monde entier4. Il subsiste encore sous forme de trafic de prostituées ou d’autres actes du milieu criminel, mais s’exerce un effort international pour faire disparaître ce phénomène. Aujourd’hui nous ne nous inquiétons pas tant du commerce d’esclaves que du traitement inhumain de ceux qui, d’une façon ou d’une autre, sont sous la coupe d’autrui. Les droits des travailleurs, les syndicats, la poursuite judiciaire des actes offensants la dignité humaine, spécialement celle des femmes, autant de dispositions originaires du monde occidental et s’étendant à travers le monde entier.

Un des droits de l’homme est celui de changer de domicile à l’intérieur du pays, ou d’émigrer. La restriction du droit d’émigrer qui existait récemment dans le bloc socialiste, est maintenant une exception dans le monde. Très peu de pays refusent de délivrer un passeport ou un visa de sortie. Les habitudes européennes dans ce domaine se répandent à travers le monde.

Une famille forte

En Europe règne la famille émancipée. Après le mariage une nouvelle famille se forme, indépendante du clan. Fréquemment, les immigrants en Europe venant d’autres pays – surtout islamiques – où prévaut le système du clan, essaient de diriger la vie des nouveaux mariés et se heurtent à la tradition européenne qui donne au jeune couple sa liberté envers toute ingérence des parents. Cette tradition est contagieuse. Elle sera transférée aux pays d’origine d’abord comme un modèle puis, avec le temps, comme une exigence pour ceux qui souhaitent appartenir au monde civilisé. Il en va de même avec la polygamie. En Europe elle est interdite et, en conséquence, elle devient de moins en moins habituelle dans les pays d’origine. Ceci concerne particulièrement le monde musulman et l’Afrique, mais aussi la Chine. Là, la norme permettait une concubine à côté de l’épouse ; c’est devenu rare aujourd’hui, peut-être par manque de filles (mais ceci est un autre problème).

En réalité la civilisation latine est fondée sur une famille forte et elle veille à ce qu’elle reste forte. L’État relevant de notre civilisation devrait se préoccuper de la force de la famille; il devrait avoir un programme spécial pro-famille visant à l’aider sans intervenir dans son épanouissement naturel. Je fais allusion à une famille acceptant une division naturelle du travail, dans laquelle le père et la mère exercent chacun leur rôle bien défini. Maternité et paternité sont deux notions qui doivent être exercées et transmises aux enfants. Ces notions rejoignent dans notre esprit la maternité de Notre Dame et la paternité de Dieu le Père. Elles sont associées à la venue des enfants et à la Sainte Famille de Nazareth. Le foyer familial devrait être une école de vie : une école enseignant comment devenir une bonne mère et un bon père, comment agir avec les gens âgés, les malades et les mourants, comment travailler pour vivre, comment épargner et partager, comment prendre soin des besoins des autres. Ces normes familiales sont traditionnellement obligatoires en Europe et nous aimerions les proposer au monde entier.

Nous imposons progressivement au monde nos normes dans différents domaines, mais malheureusement pas seulement les bonnes. Aujourd’hui la famille en Occident est en crise. Nous avons la plaie des divorces, la contraception, l’avortement, les unions homosexuelles, la pornographie et autres abominations encouragées par l’Occident dans le monde entier. Évidemment, ces « libertés civiles », ces modèles « alternatifs » de vie familiale propagés par l’Ouest dans le monde, doivent être restreints. Ils n’appartiennent pas à la vision chrétienne et, dans le programme que je développe ici, devraient être fermement combattus.

Subsidiarité

Selon l’enseignement social de l’Église catholique, la norme de la subsidiarité est obligatoire. Dans le monde occidental tous l’acceptent officiellement et la respectent. Le but est de s’assurer qu’une compétence supérieure ne s’occupe pas d’affaires qui peuvent être traitées facilement par une compétence inférieure. Prenons la construction de routes: la région ne devrait pas se mêler des routes départementales, l’État des routes régionales, l’Union européenne des routes nationales, etc.

Évidemment, lorsque sont en jeu des intérêts dépassant les intérêts locaux, les décisions doivent être prises à un niveau plus élevé. L’autonomie devrait être aussi large que possible. C’est la force des autonomies qui détermine la force sociale, la force civile.

Malheureusement en Occident il y a aujourd’hui une tendance de l’autorité centrale à se mêler de presque tout. La centralisation vient de la civilisation byzantine5, également européenne donc, mais qui ne mérite pas d’être propagée mondialement. Le monde global a besoin de la civilisation latine avec son souci d’autonomie, de pouvoirs organiques, d’initiatives venant d’en bas dans tous les domaines. L’autorité centrale ne devrait s’occuper que de questions demandant un effort commun et, en particulier, elle ne devrait pas empêcher les efforts entrepris organiquement d’en bas, localement.

Ce principe est très important dans les relations internationales. La mondialisation ne devrait pas consister en une fédération de tous les pays. De même que nous résistons au mouvement fédéral dans l’Union Européenne où nous défendons le droit des États membres à décider de leurs propres affaires, de même, à l’échelle globale nous devrions rechercher le maintien de l’indépendance des différents pays. Nous avons besoin de la coopération internationale, de l’unité dans la diversité, mais pas de la soumission de tous les pays à un gouvernement mondial. Ce principe devrait être affirmé clairement et mis en application, faute de quoi aucun accord ne se fera sur un système global.

Nous observons aujourd’hui dans le monde une croissance rapide des capitales. Ceci est tout à fait inutile. Les pays ont besoin de nombreux centres d’éducation, de culture, de commerce, d’économie et de politique. Plus sont nombreux de forts centres régionaux, plus le pays est sain. Dans le tiers-monde, les capitales deviennent des asiles pour les pauvres, elles croissent dans des proportions gigantesques et les régions sont grevées pour les soutenir. Il serait préférable d’aider les régions à développer leurs propres centres afin de réduire le prolétariat de la métropole.

Cette politique de promotion des centres régionaux a un autre mérite : elle réduit la perspective d’apparition d’une unique gigantesque capitale mondiale régnant sur tout et chacun. Les institutions internationales peuvent se répartir entre divers centres. Telle est la politique des Nations Unies ainsi organisée par le monde occidental. Ses diverses agences sont situées à New York, Genève, Rome, La Haye, etc. Que cela continue : nous ne souhaitons pas avoir un centre unique de la politique mondiale !

L’économie

De même que nous devrions aspirer à l’indépendance des familles, de même en économie nous devrions soutenir le principe de l’indépendance des entreprises. Nous voulons en voir autant qu’il est possible ; les entreprises familiales en particulier devraient être encouragées: fermes, boutiques, ateliers. Plus grand est le nombre de gens travaillant pour leur compte, plus la société est saine, moins il y a de prolétariat et d’assistés. Selon le principe de subsidiarité, l’État devrait avoir le plus petit impact possible sur l’économie, laissons celle-ci fonctionner d’elle-même. Laissons les gens zélés saisir toutes les opportunités pour leur spécialité et puisse l’État les entraver le moins possible. Ainsi ce qui est nécessaire, c’est la plus grande aide possible pour la prolifération d’entités économiques nouvelles.

Il est de la responsabilité de l’État de s’assurer que le plus fort n’étrangle pas le plus faible. La justice doit régner. Ceci ne veut pas dire que l’État doit combattre l’inégalité née des différences entre les apports d’assiduité et de zèle. L’inégalité n’est pas seulement permise, mais elle est juste et en même temps un moteur du progrès. Que chacun puisse essayer d’égaler ce qui est le plus élevé, d’atteindre et de dépasser ceux qui ont le mieux réussi, les plus riches mais aussi les plus sages et les plus saints. L’inégalité est la règle du monde occidental et elle sert bien le progrès. Lorsque l’État taxe les riches avec excès, il étouffe l’initiative.

Le désir d’égalisation vers le bas – prendre aux riches pour donner aux pauvres – est le programme des partis de gauche. Cependant nous avons déjà essayé le socialisme en Europe et nous savons qu’en tant que système économique il ne marche pas.

Nous avons de bonnes raisons d’avertir le monde – et nous-mêmes – contre cela. Une protection étatique excessive engendre non seulement un prolétariat mais aussi des générations entières habituées à vivre aux crochets d’autrui. Cette protection devrait se manifester lors de situations exceptionnelles telles que désastres naturels, crise économique, chômage soudain quand une grande usine fait faillite, guerres, afflux de réfugiés, etc. Alors vient le moment pour l’État d’intervenir et d’aider les gens à se redresser puis à s’affranchir de cette aide le plus vite possible. L’aide crée une accoutumance ; elle ne doit pas devenir permanente.

Évidemment, la charité doit être toujours présente, de préférence comme initiative locale ou religieuse. Celle-ci s’est développée dans une Europe fondée sur la morale chrétienne. Cependant, pour qu’une telle action réussisse, il doit y avoir des bienfaiteurs et ceux-ci se recrutent chez les possesseurs de gros portefeuilles. Plus ils sont riches, plus grande est leur obligation de donner.

Ce sont ces principes économiques que nous voudrions essayer de répandre dans le monde. Mais nous avons aussi chez nous des défauts qu’il ne faut pas exporter. Il y a le socialisme déjà mentionné, avec la nationalisation des biens de production qui le suit toujours. Il y a d’autres péchés de l’économie occidentale qui ne devraient pas être exportés, comme le consumérisme, la vie à crédit, les dettes – personnelles, des entreprises et du pays tout entier6. Nous avons une crise démographique qui n’est pas seulement l’expression d’une crise de la famille, mais relève encore de l’échec des systèmes d’assurance pour les personnes âgées. Nous devons tirer les conclusions de tout cela et ne proposer au monde que ce qui a réussi chez nous.

Le droit romain

Le droit européen dérive du droit romain. Il y a certaines règles de ce droit que les étudiants doivent apprendre par cœur: lex retro non agit (la loi n’agit pas rétroactivement), audiatur et altera pars (écoutons l’autre partie), nemo judex in causa sua (personne n’est juge de sa propre cause), et beaucoup d’autres. Nous aimerions voir ces règles du droit romain, qui ont fait leurs preuves, s’appliquer dans le monde entier.

Mais nous voulons quelque chose de plus. Dans le droit romain existait ce que l’on appelle le dualisme de la loi: le droit public et le droit privé règnent côte à côte, indépendants l’un de l’autre. Le droit privé est la règle interne à diverses associations, alliances, guildes, corporations, universités, partis politiques, confessions, etc. L’État n’a pas à y intervenir. Cette séparation entre lois publiques et privées fonctionne dans le monde occidental et nous aimerions la voir régir le globe entier. Jusqu’à maintenant la majorité du monde vit sous un monisme légal: un droit unique dérivé de la loi soit du clan (droit privé) soit de la cité (droit public) et qui gouverne tout. Nous voudrions enseigner au monde le dualisme légal, cette liberté des institutions envers l’ingérence de l’État.

Nous aimerions avoir aussi peu de loi publique que possible. Malheureusement, des institutions telles que l’Union Européenne multiplient les lois sans arrêt et généralement d’une façon insensée. Il s’agit d’une influence byzantine promue par l’Allemagne (l’Allemagne prussienne avant tout). Dans la tradition européenne, et en particulier dans la tradition de la civilisation latine, existe un minimalisme légal. On ne recourt à la loi que lorsque c’est absolument nécessaire, les choses étant évidentes d’un point de vue éthique. On laisse aux gens le maximum de liberté pour qu’ils décident comment régler leurs propres affaires. Ceci enseigne la responsabilité civique et nous aimerions en avoir autant que possible.

Dans beaucoup d’endroits du monde existe encore l’obligation morale de venger le membre de la famille ou du clan à qui l’on a fait tort. Hélas, il en subsiste des restes en Europe avec les pratiques de la vendetta en Sicile ou en Corse. Depuis des générations l’Église catholique a systématiquement enseigné que la vengeance doit être laissée aux organes judiciaires de l’État. C’est la raison d’être d’un État devant posséder un appareil judiciaire approprié pour poursuivre et punir les criminels. Telles sont les normes que nous avons établies en Europe et que nous aimerions voir appliquées dans le monde entier.

Les gouvernants doivent savoir qu’ils disposent de la force non pas pour se protéger des citoyens mais pour les défendre contre le danger intérieur ou extérieur. Telle est la raison justifiant une police et une armée.

Police mondiale

Remarquons que toutes les guerres conduites par les USA se terminent par l’entraînement de la police locale et d’un personnel militaire à qui sont confiés la surveillance et le maintien du nouvel ordre établi. On peut discuter sur la nécessité de toutes ces guerres, mais la façon dont elles se terminent ne soulève pas d’objection morale. À tort ou à raison, les États-Unis sont devenus aujourd’hui la police mondiale, ce qui – dans quelque mesure – est accepté par les autres pays. Quand survint le tragique tremblement de terre en Haïti, le monde s’est précipité avec l’aide humanitaire, mais il s’est trouvé que des bandes locales attaquent les secours et fassent obstacle au travail des organisations humanitaires. Des voix se sont élevées à l’époque pour dire que ces organisations avaient besoin d’une aide militaire. Aucune personne sensée ne s’y opposerait. Nous accepterions également une intervention internationale dans des lieux tels que la Somalie, le Darfour, le Rwanda et autres régions où il est évident que les forces locales sont inefficaces et que toute action humanitaire demande une protection militaire.

Dans la civilisation latine, nous avons peu à peu appris qu’au lieu de punir nous-mêmes les coupables, nous devions laisser cela à la police nationale et aux autorités judiciaires; si bien que peut-être, dans l’avenir, nous serons d’accord aussi pour avoir une police globale prévenant les conflits internationaux. Cependant, pour accepter de telles interventions, nous devons d’abord être convaincus qu’elles seront entreprises dans l’intérêt des habitants locaux et non dans celui des intervenants. Les « casques bleus » des Nations Unies sont favorablement vus de l’opinion. Ce serait bien si tous les conflits mondiaux se terminaient par l’intervention de telles forces. Pour que ces interventions soient acceptées, la communauté mondiale doit travailler dur pour convaincre qu’elles seront impartiales et guidées par une véritable intention d’aider d’une manière éthique.

Les pays ne renonceront jamais à leur propre armée, mais le but de ces armées doit être la défense nationale et non des opérations offensives. Les pays s’allient au sein de blocs militaires. On peut imaginer quelque “OTAN” global après association de tous ces blocs; cependant, l’usage de telles forces dans des opérations internationales doit servir le bien commun fondé sur l’éthique chrétienne. Ainsi faut-il apprendre au monde cette éthique.

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Je ne m’illusionne guère sur la facilité d’appliquer un tel programme. Les autres civilisations se défendront contre la civilisation latine. Évidemment, la plus grande résistance viendra des pays musulmans, actuellement très mal disposés envers le monde occidental. Aujourd’hui, leur force vient du pétrole dont nous avons besoin ; mais ceci peut changer avec le développement d’autres sources d’énergie, comme les gaz de schiste. Pour cette même raison la Russie qui actuellement vit surtout de son gaz, peut s’affaiblir. La Chine devra se battre avec une consommation intérieure croissante et avec le vieillissement de sa population. L’Inde, toujours passive, est ouverte aux suggestions de l’Ouest. Je crois qu’aujourd’hui où l’Europe impose au monde ses normes dans tant de domaines, nous pourrions le faire pour l’éthique ; au moins devrions-nous essayer. Il y aura des difficultés, non seulement de la part des pays non-européens habitués à d’autres normes qu’ils voudront défendre, mais encore de la part du monde occidental lui-même, qui semble avoir perdu ses repères éthiques. Malgré cela, ou peut-être à cause de cela, nous devrions élever le niveau de la civilisation latine et proclamer les normes chrétiennes, tête haute et au monde entier. L’engagement même d’une discussion sur ce thème peut réveiller dans le monde occidental un sens de sa mission universelle, une mission non seulement technique et d’organisation, mais spirituelle aussi.

1 Aimablement traduit par Claude Eon

2 Connu d’abord de nos lecteurs comme généticien à l’Académie des Sciences de Pologne, M. Giertych est aussi un acteur avisé de la vie politique, ayant passé, enfant, les années de guerre à Londres où son père avait émigré avec le gouvernement polonais en exil. Député européen, avec un fils Vice-premier ministre, il causa quelques émotions à Bruxelles en 2006, par sa mise en cause de l’évolutionnisme dans l’enseignement (cf. Le Cep n°38, p. 3) et par sa défense d’une vision chrétienne de l’Europe (cf. Le Cep n° 40 et 41).

3 Cf. Le Cep n°40 (pp. 62-74) et n°41 (pp. 58-75). Dans le même ordre d’idées, signalons la traduction en anglais réalisée par Maciej GIERTYCH d’une œuvre importante de Feliks KONECZNY: The Jewish Civilization, Komorów, ANTYK, 2012, 1 100 p. (antyk2@tlen.pl).

4 Ndlr. Se reporter à “ L’Église et l’esclavage ”, in Le Cep n° 5, pp. 1-11.

5 Ndlr. Sur cette notion de civilisation « byzantine » inspirée de Koneczny (et prégnante en Russie), se reporter aux articles du Cep signalés à la note 3.

6 Ndlr. Le faible endettement de l’État polonais est pour beaucoup dans la vitalité économique actuelle de la Pologne.

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