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28 février 2026 COLLOQUE UNIVERSITAIRE INTERNATIONAL

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Le transhumaniste, ou l’homme insatisfait

Par Tassot Dominique

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Résumé : Le monde qui nous entoure est considéré par les chercheurs comme « donné » à notre effort de connaissance, un donné stable et objectif dont il nous revient de découvrir et d’utiliser les lois. Or le don exige l’existence réciproque d’un Donateur, le vrai possesseur. Le transhumaniste, inconsciemment ou non, récuse la bonté substantielle de ce « donné » et, mu par un orgueil démiurgique, prétend faire mieux que le Créateur. Mais la poursuite du surhomme fut un échec tant chez les bolchéviques que chez les eugénistes anglo-saxons. Julian Huxley, en lançant le thème du transhumanisme en 1957, avouait indirectement à la fois cet échec de l’entre-deux-guerres et la persévérance dans la volonté maligne de rivaliser avec le Créateur.

La science européenne a été rendue possible avec en arrière-fond une croyance : celle que le monde qui nous entoure obéit à des lois permanentes, rationnelles et donc intelligibles1. Il existe ainsi à nos yeux un donné objectif, indépendant de la personne qui l’observe et dont le fonctionnement harmonieux et régulier nous incite à y découvrir des lois2. Durant plusieurs siècles ce « donné » évoqua un Donateur ; puis survint ce naturalisme que Pascal, prémonitoire, comparaît à l’athéisme3 : le « donné » cessa d’être en réalité un « reçu » prenant son origine en dehors de lui-même, et devint une sorte d’être-là autosubsistant4.

Avant ce grand basculement, les êtres de la nature excitaient notre admiration ; leur perfection parlait à notre esprit et les artistes n’avaient pas à chercher ailleurs leur inspiration : tout l’art était de restituer ce témoignage mystérieux de l’être, de révéler ce qu’il avait à nous dire. Ce « donné » qu’il nous revenait de recevoir était donc aussi un message envoyé par le Donateur. La racine indo-européenne bagha, dont le sens général est « donner », se retrouve en russse dans le mot Bog, « Dieu ». Cette proximité suggère deux conséquences : 1. Il existe un donateur. Les choses sont ce qu’elles sont, certes, mais rien n’existe qui n’ait une cause et, de cause en cause, tout nous relie à une cause première qui, elle, est sans cause. Il existe nécessairement une première cause incausée5. Telle fut la voie suivie, à leurs débuts, par les philosophes et les scientifiques européens6. 2. Ce monde a été fait pour nous. Les cieux racontent la gloire de Dieu (Ps 29, 1), certes, mais c’est à nous qu’ils s’adressent. L’anthropocentrisme était si bien admis qu’il est passé de la Bible au catéchisme du concile de Trente. Non seulement le monde est donné pour notre usage, mais certains êtres y furent créés dès l’origine pour servir aux besoins humains, mission la plus noble dans leur ordre, ceux que la Genèse (1, 24) qualifie de bèmah בהמה « bétail », soit l’ensemble de ces animaux « domestiques »7 qui se plaisent en notre compagnie.

C’est une erreur profonde, chez les antispécistes, d’extrapoler à partir de certains cas de maltraitance animale jusqu’à l’idée que toute domestication est une injustice, une violence faite à la nature profonde des êtres.

La contradiction est d’ailleurs flagrante avec le véganisme qui aboutit en fait à une « maltraitance végétale » : des arbres sont coupés et déchiquetés pour faire le papier des tracts végans alors que les plantes ont une sensibilité à l’instar des animaux, fût-elle différente.

L’évolutionnisme auquel croient les végans suppose d’ailleurs une continuité universelle entre tous les vivants et, s’il y a continuité ancestrale entre l’homme et les animaux, il doit en aller de même entre animaux et végétaux.

L’homme moderne est ainsi devenu un étranger dans une nature qui le perçoit comme un trouble-fête et à laquelle il se considère comme subordonné, tout en étant condamné à la régir, voire à la maltraiter pour y survivre. Dans la tradition hébraïque, Dieu est « Le Lieu » par excellence (המקום ha-maqôm) ; ll est devenu aujourd’hui, pour certains, cette mystérieuse Nature divinisée où se niche peut-être la forme actuelle de l’éternelle tentation idolâtrique. Deus sive Natura…

Dans la vision biblique du monde, l’hostilité de la nature venait de l’homme lui-même, de sa faute originelle : elle n’était que relative ; les êtres ne cessaient pas d’avoir été créés pour lui, les uns comme les autres ayant été embarqués ensemble pour un périple grandiose, mais attendant encore leur retour au port d’attache prévu de toute éternité. Lors de la deuxième « grande réinitialisation », provoquée elle aussi par les péchés collectifs8, ce fut même à l’homme que les animaux terrestres durent leur salut, à la famille humaine la moins dégénérée – celle de Noé – et qui, à ce titre et parce que le Plan devait s’accomplir, travailla durant un siècle à préparer cette opération-survie. Mais la démesure, source de tant de calamités, n’allait pas jusqu’à tarir l’admiration que nos ancêtres nourrissaient envers cette créature à la fois la plus chétive et la plus noble : le roseau pensant l’emporte en dignité sur le chêne qui l’écrase, notait Pascal.

Avec les idées transformistes, elles-mêmes issues du mythe du progrès, le paysage intellectuel puis moral changea. Sans Donateur, le « donné » perdait sa consistance propre, sa finalité prédéterminée, et devenait comme une pâte molle se prêtant à toutes les transformations, celles-ci toujours perçues comme des améliorations puisqu’elles conviennent à celui qui les décide. Le progrès technique servit d’abord et depuis longtemps à compenser les carences résultant de la Chute. Il utilisait et modifiait des êtres extérieurs à l’homme ou réparait tant mal que bien ses infirmités.

Avec l’évolutionnisme généralisé qui prit corps au XIXe siècle, le grand-œuvre devint l’amélioration de l’homme lui-même, noble but dont se convainquirent aisément les hommes politiques soucieux d’avantager leurs peuples dans la lutte pour la vie. Les pays qui adoptèrent des lois eugénistes furent donc ceux où les dirigeants adhérèrent au darwinisme. En Angleterre, les familles Huxley, Darwin et Galton furent au premier rang dans cet effort pour améliorer la race humaine et produire scientifiquement le surhomme. Le drame fut qu’en s’appliquant à elles-mêmes le principe de sélection des « plus aptes », elles crurent pouvoir défier les règles de consanguinité que la sagesse des nations avait su établir. Sur le continent européen, les Lebensborn – « Sources de vie » envieil allemand –,des enfantsobtenus par sélection au sein de la SS, n’eurent pas le temps de se reproduire entre eux, mais nous savons désormais que le résultat eût été le même : la pureté d’un lignage sélectionné sur critères anthropométriques étroits, dont le QI, a pour effet de concentrer les tares, en favorisant l’expression des mutations, presque toujours régressives. S’en suit obligatoirement l’entropie génétique, phénomène dont il nous reste encore à mesurer et à gérer toutes les conséquences9.

Les bolchéviques connurent d’ailleurs le même échec que les Anglo-Saxons : le surhomme soviétique ne parut nulle part, même après 70 ans de révolution socialiste, et l’on sait aujourd’hui que leur sportifs – les nageuses en particulier – n’amassèrent leurs médailles olympiques qu’au prix de procédés aussi délétères pour le corps que déshonorants pour l’âme. La sélection naturelle a pour effet d’éliminer les déviants ; elle conserve donc le type moyen de l’espèce.

La survie de la théorie darwinienne, permise un certain temps par la croyance aux mutations positives, ne s’explique plus désormais que par des considérations étrangères à la science (mais cependant bien réelles). Quant à la sélection artificielle, celle que pratiquent les éleveurs et les semenciers, si elle permet de développer certains caractères secondaires (souvent au détriment des autres10), elle n’a jamais produit l’organe nouveau ou la fonction nouvelle qu’attendent ceux qui projettent le mythe du progrès sur les êtres vivants, comme le font les évolutionnistes sincères.

Le biologiste Julian Huxley, premier directeur général de l’UNESCO, athée militant et – comme son frère Aldous – membre bien informé de l’élite dirigeante, dut trouver un autre moyen pour que l’humanité poursuive sa marche ascendante. À une époque où les innovations techniques suscitées par les efforts de guerre commençaient à se déverser en applications pacifiques sur la vie courante, Huxley comprit qu’il fallait substituer à la voie biologique vers le surhomme, désormais reconnue comme une impasse, une autre piste, celle de la technologie. Ce fut en 1957 le manifeste « transhumaniste » (en New Bottles of New Wine, Londres, Chatto & Windus). Si le mot n’eut pas à l’époque l’écho qu’il rencontre aujourd’hui, on n’analysera bien cet énième courant utopiste qu’en remontant à sa source : l’idée d’obtenir par un ajout externe, par un appendice artificiel, ce qu’il faut renoncer à obtenir par la reproduction dirigée. Transhumanisme et eugénisme, il s’agit toujours du même combat avec le même objectif : orienter l’évolution humaine, obtenir un homme supérieur, et, cette fois, sous la forme d’un homme « augmenté ».

Le mieux est l’ennemi du bien. Le transhumaniste, au fond, est un être insatisfait. Mais au lieu d’imputer cette insatisfaction à ses carences personnelles, à ses manquements et – lâchons le mot – à ses péchés, comme nous y invite saint Paul en appelant chacun, avec l’aide de la grâce, à « revêtir l’homme nouveau » (Ep 4, 24), le transhumaniste méconnaît la perfection substantielle de la nature humaine telle que reçue du Créateur ; il s’imagine pouvoir faire mieux. Quelle illusion !

Ou, plutôt, quel illusionniste se cache donc derrière cette prétention qui serait grotesque si elle n’était pas déjà absurde ? Ce qui débouche sur une autre question. Satan sait bien que l’évolution est régressive. Mais il laisse ceux qui le servent croire au mythique Progrès mensonger. N’est-ce pas une manière d’asservir les esprits ? Seule la vérité libère !


1 C’est pourquoi l’islam est un frein psycho-sociologique pour la science : la toute-puissance d’Allah se doit d’être arbitraire. Lire à ce sujet : N. SAFIR, « La science en marge des sociétés musulmanes », Le Cep n°78, p. 24.

2 Nous avons volontairement évité ici la formule classique : « à en découvrir les lois ». Les lois que nous découvrons ne sont pas, en effet, ipso facto celles que le Créateur a posées. Elles peuvent être erronées – l’histoire des sciences le montre – et demeurent partielles : le connu n’épuise pas le réel.

3 « Tous ceux qui cherchent Dieu hors de Jésus-Christ, et qui s’arrêtent dans la nature, ou ils ne trouvent aucune lumière qui les satisfasse, ou ils arrivent à se former un moyen de connaître Dieu et de le servir sans médiateur, et par là ils tombent ou dans l’athéisme ou dans le déisme, qui sont deux choses que la religion chrétienne abhorre presque également » (Pensées n°449-556).

4 On pense au célèbre Dasein, « être-là », de Heidegger, faisant ici retour explicite à la pensée grecque antique, en ignorant le concept de Création et en renouant avec une sorte d’éternité de la matière.

5 Â consulter sur ce thème : Frédéric GUILLAUD, Dieu existe. Arguments philosophiques, Paris, Cerf, 2013, p. 97-126.

6 Qui furent souvent les mêmes personnes, pensons aux Bacon, saint Albert, Pascal, Descartes et autres Leibniz, par exemple. L’apparition d’une science, qui ne fût pas aussi et d’abord une recherche de sagesse, est un phénomène tardif. Le titre universitaire PhD, en pays anglo-saxon, le montre bien : il s’agit toujours, d’après l’étymologie latine, Philosophiæ Doctor, d’un docteur en philosophie, quelle que soit par ailleurs sa discipline particulière.

7 Il faut ici mentionner l’existence des plantes domestiques, dotées du « gène de la domestication » (cf. J. PERNÈS, « La génétique et la domestication des céréales », Le Cep n°99, juin 2022, p. 82), et même des minéraux domestiques : fer, or, argent, silex, etc., dont les propriétés leur permettent d’accompagner le genre humain tout au long de son parcours terrestre.

8 La Bible hébraïque emploie cette formule étrange : « toute chair avait pervertiדרכו darkô sa voie, son chemin » (Gn 6, 12). Avec les manipulations génétiques et les mœurs contre nature, ne sommes-nous pas en train de revivre un moment analogue, incitant ainsi le Créateur à une nouvelle intervention ?

9 Cf. John SANFORD, L’entropie génétique, Le Séquestre, Éd. La Lumière, 2019 (commentaires et extraits significatifs dans Le Cep n° 89).

10 Ainsi la vache charolaise l’emporte par le taux de viande utile rapportée au poids de la carcasse, mais les vêlages sont difficiles, et la race, comme toutes les variétés obtenues par sélection d’ailleurs, ne survivrait pas dans la nature.

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