Partager la publication "Méditation sur le squelette et la carapace"
Par Thélème Sybille1
Résumé : Dans la classification des animaux, le squelette joue un rôle majeur puisqu’il peut être figé (seiche) ou articulé, externe (coquille) ou interne (vertébrés), etc. Il est tentant d’appliquer ces catégories à l’homme, ce « microcosme » qui semble les réaliser toutes en analogie, surtout si l’on élargit ces images à notre être moral et spirituel. Mais le réel dépasse toujours le connu et les « éponges de verre » récemment découvertes, font éclater nos classifications : à la fois rigides et souples, elles sont comme un hommage à l’humour supérieur du Créateur.
Une image traditionnelle de l’homme en fait un « microcosme » : créé à l’image de Dieu, il recèle en lui, de quelque manière, les diverses pensées divines que sont les autres êtres et en particulier les êtres vivants et, parmi eux, les animaux.
Certains sont sans squelette articulé (l’os de seiche est d’une seule pièce), c’est pourquoi on les appelle « mollusques ».
On remarque aussi les coquillages, les crustacés et les arthropodes, doués d’un « squelette » extérieur qui les protège tout en les enfermant.
Les Arthropodes, qui se divisent en Arachnoïdes et compagnie (octopodes), Acariens, et Insectes (tripodes alternés : 6 pattes) ont, comme leur nom l’indique, des pieds (-podes) articulés (arthro-), ce qui leur permet des mouvements plus variés que ceux des bivalves ou des coquilles spirales : la danse des crevettes n’est-elle pas plus monotone que celle des petits rats de l’Opéra !
Dans ce cas, le « squelette » est extérieur à la chair.
Puis viennent les Vertébrés, avec un squelette intérieur : le rapport est inversé, avec d’abord le mou dans le dur, puis le dur dans le mou, ce qui donne plus de possibilités de mouvement, de souplesse, donc de liberté et de précision, sans pour autant permettre n’importe quelle déformation. Lorsque la limite de cette souplesse est atteinte, ce peut être la fracture. Et gare à la scoliose et aux rhumatismes, si le squelette est fragilisé par une mauvaise hygiène de vie. Les vertébrés sont donc à la fois plus solides que les mollusques et plus souples que les crustacés.
Il y a donc trois sortes de squelettes :
- Le « squelette » extérieur :
- Les coquillages : spirales sans articulation ;
- Les bivalves (moules, coquilles Saint-Jacques, etc.) avec une seule articulation ;
- Les crustacés (« squelette » articulé) et arthropodes (insectes et araignées…).
2) Le squelette intérieur avec écailles (des vertébrés) :
- Les poissons et les reptiles sans pattes (serpents) ;
- Les reptiles avec pattes (lézards) ;
- Les tortues qui ont en plus une carapace (« squelette » intérieur et extérieur).
3) Le squelette intérieur sans écailles mais avec poils ou plumes : le mammifère marin, l’animal bipède (oiseau) et quadrupède. Et l’homme, « bipède sans plumes » dit Platon (Politique, 266e).
Dans ce cas très particulier, avec l’homme, se retrouve tout ce qui précède :
a) Le crâne comme une coquille (coquillage) avec quelques « coutures » : à l’intérieur de la boîte crânienne se développe la « boîte à idées ».
b) Dans la cage thoracique, à claire-voie, « un peu » articulée, un appareil respiratoire évoquant les ouïes des poissons, mais approprié à la vie atmosphérique et nous libérant de la « prison » aquatique.
c) La colonne vertébrale et les membres (articulés) pour tous les vertébrés : l’os est invisible mais palpable.
Et, à moins d’être une tortue, l’homme, qui possède une ossature intérieure, a seulement besoin de vêtements et non d’une carapace !
Les vertébrés sont donc plus libres que les invertébrés et arthropodes qui doivent changer de carapace pour pouvoir grandir (crabe, scorpion). Voilà pour l’anatomie. Mais la comparaison s’arrête-t-elle là ?
Les « Nouveaux Crustacés »
Cette image de l’homme comme « microcosme » ne nous donne-t-elle pas aussi une image de l’évolution spirituelle des personnes humaines ?
Aujourd’hui, on voit des « hommes-crustacés », ceux qui, n’ayant pas encore pu ou su constituer une armure spirituelle, sont obligés de se munir d’une « carapace » appelée « égo », dont la substance a été identifiée comme étant sécrétée par deux glandes sous-cutanées appelées « peur » et « préjugé ».
Non contents de l’indépendance que leur donne leur nature vertébrée par rapport aux crustacés, même si leur carapace est invisible, les hommes se fabriquent des cuirasses, des armures visibles (les coffres-forts, les portes blindées et les codes d’entrée), ou invisibles (les assurances, qui sont censées les protéger contre les voleurs, les accidents et les catastrophes).
Parfois, et même souvent, cette carapace se matérialise sous la forme d’une boîte métallique à quatre roues, deux ou quatre élytres (portières) dans laquelle ils se sentent à l’aise et en sécurité : ils s’enferment dans ces véhicules qui les font ressembler à un crabe ou à un coléoptère (ou plutôt à un bernard-l’hermite, qui n’a pas lui-même fabriqué sa coquille), mais ces carcasses sont bientôt démodées ou endommagées.
« Vues à distance suffisante, les voitures dans lesquelles nous voyageons et que nous savons être construites par nous, auront l’air, ainsi que Heisenberg l’a dit une fois, d’ « être une partie aussi inaliénable de nous-mêmes qu’une coquille d’escargot pour son occupant ». (Hannah ARENDT, La Crise de la culture, p. 355).
L’homme, sans carapace, coquille, ni pelage protecteur, semble tout nu. Alors, comme une carapace, la LOI est une force qui s’impose à l’homme de l’extérieur, en limitant nos désirs, tandis que la FOI est comme un squelette (colonne vertébrale, bras et jambes) pour affronter le danger, une force qui a sa source à l’intérieur.
Or peut-on vivre « sans foi ni loi »?
1) La loi (lex) et la logique (logos) semblent pouvoir être représentées par la TÊTE, enfermée dans la boîte crânienne qui ressemble à une coquille de noix (l’intérieur de la noix ressemble d’ailleurs à un cerveau !). Comme le crâne qui protège la tête, la loi protège la logique en l’enfermant dans des limites strictes, car la loi est ce qui encadre et structure l’ordre (l’exception confirme pratiquement la règle qui est générale, mais elle contredit théoriquementla loi qui est universelle).
2) La foi semble pouvoir être logée dans le CŒUR d’où elle jaillit, mais elle est contenue dans la cage thoracique (il y a du vide entre les barreaux). La foi agit sur le cœur et lui permet d’être un moteur, de rayonner, de chanter comme un oiseau ; c’est pourquoi la cage de cet oiseau n’est pas une boîte « étanche » comme la boîte crânienne. La colonne vertébrale, les côtes, les omoplates et les clavicules sont une armature qui ne manque pas de souplesse.
3) L’ABDOMEN, quant à lui, chez les vertébrés, n’est protégé ni par une boîte, ni par une cage; c’est pourquoi, lorsque la loi, dans la tête, et la foi, dans le cœur, ne font pas leur travail, toutes les forces du ventre et du bas-ventre (appétits sexuels et matériels, donc de plaisir et de profit) se déchaînent, toutes les convoitises s’expriment tyranniquement.
Parce qu’il manque de foi (squelette intérieur), l’homme doit inventer des règlements, des lois, des structures –, sans lesquels il n’est qu’un mollusque, parce qu’il n’a pas intégré la loi–, mais qui finissent par l’étouffer.
Nous attendons donc l’avènement des « homme-vertébrés », plus sages et plus résistants, capables de traverser les épreuves inévitables en ce monde, protégés par une colonne vertébrale spirituelle, à moins que le laxisme et le conformisme ambiants, tels un acide corrosif, ne la dissolvent. Le risque est alors de se faire mollusque ou Tortue incapable de vaincre le Lièvre à la course.
L’homme est appelé à conquérir sa liberté, non comme un crustacé qui rêverait de se débarrasser de sa coquille semblable une prison, mais en consolidant peu à peu sa colonne vertébrale spirituelle afin de combiner le maximum de souplesse avec le maximum de fermeté. La liberté des vertébrés n’est-elle pas bien plus grande que celle des invertébrés ?
Mais lorsque le crâne est « fêlé », il n’empêche plus la pensée bouillonnante de s’évaporer. Par le scepticisme et l’incrédulité, le thorax semble être devenu une armure, un gilet pare-balles contre la peur, empêchant la foi de rayonner. Alors, seuls le VENTRE et le BAS-VENTRE (relâchement de tous les sphincters), qui ne sont protégés par aucun bouclier naturel, imposent leurs exigences démesurées et rendent nécessaires des sanctions et des représailles de la part de la nature et de la société.
Tant qu’il n’est pas assez mûr, assez adulte, l’homme est soumis à son milieu naturel, à son milieu familial, social, professionnel, d’abord comme un mollusque, puis comme un crustacé, et parfois cette soumission ne contredit pas ses intérêts personnels.
Dans une deuxième étape, il commence à acquérir une certaine puissance, sur les choses, sur les autres ; le danger qui surgit ici est celui d’abuser de cette puissance, qui d’ailleurs finit, tôt ou tard, par se retourner contre lui : on récolte ce qu’on a semé. Tourner la loi à son profit n’est pas illégitime, à condition que ce profit ne soit pas à court terme seulement et ne soit pas nuisible aux autres.
Mais tant que la loi morale lui semble s’imposer de l’extérieur, il ne l’a pas encore comprise : ne lui faut-il pas accomplir àl’intérieur de lui-même ce que la nature accomplit àl’extérieur, dans la diversité des espèces ?
CONCLUSION
L’évolution spirituelle de la personne rencontre donc des analogies parmi les êtres vivants typiques. Mais voilà… l’humour divin nous révèle des espèces qui font éclater nos classifications. C’est le cas avec la découverte des « éponges de verre ».

Fig. 1. Oopsacas minuta (Crédit J.-G. Harmelin).
En effet, par définition, les éponges font partie des mollusques. Or les éponges de verre ont un vrai squelette intérieur, articulé, à la fois souple et solide, bien plus solide (à leur échelle) que les arcs-boutants de nos cathédrales et nos charpentes ajourées ultramodernes.

Fig. 2. Oopsacas minuta (détail) (Crédit J. Vacelet)
Cette armature dont leur nature dote certaines éponges est analogue au système squelette-muscles que l’on observe chez les grands vertébrés, une armature dont les « vertébrés-humains » commencent à s’inspirer dans leurs inventions techniques et architecturales : un beau cas de bio-mimétisme.

Fig. 3. Hexactinellida (cliché Alamy Ltd)
Car la perfection est là dès la Création, ellen’est pas l’aboutissement du hasard darwinien à travers une longue suite de millénaires. Mais la liberté accordée à l’homme lui permet de progresser ou de régresser. En contemplant les êtres vivants avec leurs types gradués, l’homme est appelé à s’élever, à s’affiner en passant du mollusque au vertébré, bref à s’accomplir spirituellement.
1 Enseignante en philosophie.