Accueil » Non-nécessité et dangers d’admettre la théorie de l’évolution dans le plan divin de la Création-Rédemption

Par Éric Brucker

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SCIENCE ET TECHNIQUE
« Les rationalistes fuient le mystèrepour se précipiter dans l’incohérence. »
(Bossuet)

Résumé : Lors du colloque sur l’Évolution organisé à Tautavel en avril 2015, Éric Brucker, qui en avait lancé l’idée, s’était proposé d’intervenir sur l’aspect doctrinal du thème. Nous sommes heureux de lui rendre un hommage posthume en publiant ces pages où se condensent ses ultimes réflexions sur l’origine des êtres. Ce texte s’adressait principalement aux deux religieux présents. Ces derniers, quoique soucieux de tenir les notions traditionnelles sur la Création et le Péché originel, considéraient possible, soit d’adapter la doctrine à la thèse évolutionniste, soit d’imaginer une forme d’évolution qui rendît possible la Chute. De là l’idée d’actes créatifs ponctuels au cours du temps, comme à la création de chaque âme humaine ; de là aussi l’idée d’un « animal surdéveloppé », doté par Dieu des dons préternaturels que le péché d’Adam nous a fait perdre. Éric Brucker, par son commentaire critique d’un article donné en 2008 par un dominicain, le P. Louis-Marie de Blignières (souvent désigné ici par « l’auteur »), s’efforce de montrer combien de tels compromis demeurent insatisfaisants.

Introduction 

Dès le quatrième numéro du Cep, en 1998, l’éditorialiste écrivait : « Au sixième siècle avant Jésus-Christ, le philosophe grec Anaximandre voyait l’homme sortir de la mer, par métamorphose du poisson, et Benoît de Maillet reprendra cette idée au début du dix-huitième siècle, bien avant Lamarck ou Darwin. » Puis il poursuivait : « Loin de se voir issu d’un couple originel, comme l’observation rapprochée et la Bible l’avaient suggéré, l’homme des Lumières en vint à l’idée d’une transformation indéfinie des espèces, une durée illimitée aidant.

Ainsi, un siècle avant Darwin, alors que Lamarck était encore au berceau, tous les traits de l’évolutionnisme moderne se trouvent déjà clairement posés, avec les arguments qui en charpentent la dialectique et font sa force persuasive : mise à l’écart de la perspective biblique, longues durées géologiques, flexibilité indéfinie de l’être vivant.

Ce ne sont pas de savants naturalistes, confrontés à des faits irréductibles, qui ont élaboré cette vision des origines. Tout à l’inverse, l’activité des scientifiques a consisté et consiste encore à justifier, affiner et doter d’apparences rigoureuses, une antique thèse païenne, remise à la mode par les « philosophes » des Lumières. C’est pourquoi les arguments contraires ne sont guère pris en compte : l’affirmation autoritaire a toujours fourbi la meilleure des propagandes !… »

[…]. Le père de Blignières a par ailleurs rédigé un article synthétique paru dans Sedes Sapientiæ1 intitulé « Regard thomiste sur l’Évolution », qui me servira de trame pour la présente réflexion sur la non-nécessité scientifique et philosophique de la théorie de l’Évolution et ses dangers pour la foi chrétienne.

a) Sur le plan scientifique

L’évolution généralisée est, selon notre dominicain, une théorie scientifiquement fondée, du fait « qu’elle emporte actuellement l’adhésion de beaucoup (voire de la plupart) des scientifiques ».

Il précise même en note qu’il ne parle que des « scientifiques jouissant d’une excellence reconnue » (p. 59)…

Je ne m’attarderai pas sur la faiblesse de cet argument pourtant asséné massivement pour effrayer le bon public. C’est tout simplement l’argument d’autorité utilisé par tout enseignant depuis toujours, quel que soit le sujet enseigné. Or, en matière scientifique, seul compte le fait, observable en principe par tous.

C’est si vrai que de nombreux conférenciers évolutionnistes ne veulent pas parler de « théorie » de l’évolution mais d’un  « fait » de l’évolution,  ce qui ne peut que clouer le bec d’emblée à d’éventuels contradicteurs.

Et quand un fait observable est en contradiction avec la théorie, certains universitaires n’hésitent pas à affirmer : « ce fait n’existe pas2  ! »

Puis le Père poursuit :

« D’autre part ces scientifiques ne voient aux faits observables aucune autre explication possible “ dans l’ordre naturel ”. Le fixisme ou “ créationnisme ” suppose en effet une intervention directe de Dieu pour la création de chaque espèce, qui rend inutile la recherche de causes naturelles ; ce à quoi, même croyants, ils répugnent comme savants voués à l’analyse des causalités créées » (p. 59).

Il conviendrait ici, je pense, de rappeler que si un scientifique n’a effectivement jamais trouvé Dieu sous son scalpel, et ne le trouvera jamais, cela est inhérent à la méthode scientifique elle-même dont la valeur est liée à ses limites. Claude Bernard l’a magistralement exposé au XIXe siècle.

Tout scientifique en tant que tel doit de se limiter à l’analyse des causalités observables (qu’elles aient été créées ou engendrées par l’Évolution ne relève pas de la science expérimentale ), et ce avec un doute méthodique permanent et le rappel constant qu’au-delà de ce qu’il parvient à analyser et à interpréter scientifiquement, il n’y a pour lui, en tant que scientifique, qu’un point d’interrogation qui se déplace parfois, certes, mais a plutôt tendance à s’épaissir3

Or la notion « d’ordre naturel » relève de la philosophie. Répugner à l’intervention d’un Dieu créateur relève d’une philosophie panthéiste… fort ancienne, mais très actuelle.

Certes, comme tout homme, tout savant s’interroge plus ou moins sur les origines et la finalité du monde, et il est tenté de mettre le prestige de son statut dans la balance de son argumentaire… Mais comprendre cette tentation devrait plutôt inciter à la combattre !

Le P. de Blignières continue en affirmant comme « établi avec une bonne certitude scientifique : que la terre s’est constituée il y a 4 ou 5 milliards d’années » (p. 59).

Je ne reviendrai pas sur le thème des datations, exposé ici par Jean de Poncharra. Je me limiterai à rappeler que la notion de « bonne certitude scientifique » est une affirmation doublement vide de sens : une certitude n’est ni bonne ni mauvaise. Elle est ou n’est pas. En outre, la science n’a pas pour but d’énoncer des certitudes, et le seul domaine où l’homme accède à une science exacte et certaine est la mathématique puisque, dans cette seule science, l’objet est tout entier dans sa définition. Et cette science est exacte, car elle est toute théorique ! Il n’y a dans la nature aucun point sans dimensions ni aucune ligne sans surface… !

L’auteur poursuit sur la constatation scientifique que : « près de 55% des gènes de la mouche sont aussi présents chez l’homme […] et l’organisation des cellules est très similaire de la bactérie à l’homme » (p. 60).

Je ne vois pas en quoi les gènes communs seraient un argument pour la théorie de l’Évolution et contre la Création. Un peintre ne peut-il utiliser la même palette pour faire des tableaux très différents ?

Le dominicain affirme ensuite : « au cours du temps, des espèces plus complexes sont apparues tandis que d’autres ont disparu », d’où « une  histoire du vivant et une certaine filiation : des espèces successives héritant des caractéristiques des espèces précédentes » (p. 60).

Or, si beaucoup d’espèces ont effectivement disparu, et ce de plus en plus vite d’ailleurs depuis deux cent ans, ce qui n’est pas particulièrement un progrès, l’auteur reconnaissait lui-même que : « au stade actuel des connaissances, ne sont établis scientifiquement ni l’émergence d’une espèce nouvelle à partir d’une autre espèce, ni le rôle du hasard dans cette évolution » (p. 60), propos donc quelque peu contradictoires avec les certitudes qui précèdent concernant l’évolution.

L’auteur précise d’ailleurs fort judicieusement que l’ADN, très similaire dans des espèces très différentes, « fonctionnerait plutôt comme la fourniture des briques (les protéines) permettant de construire l’individu, en laissant un grand vide d’explication sur la façon dont ces briques sont agencées » (p. 61).

Ce « vide d’explication » ne laisse-t-il pas, modestement, un peu de place au souffle de l’Esprit formant chaque espèce ? L’auteur précise d’ailleurs ensuite fort pertinemment que: « les preuves rigoureusement contraignantes de la filiation d’une espèce à l’autre font défaut, du fait que le passage d’un phylum4 à un autre n’a été ni observé, ni démontré » (p. 62).

Il tient malgré tout pour acquis comme un « fait scientifique » la succession des espèces « depuis des formes imparfaites vers des formes plus parfaites » (p. 62).

J’avoue ne pas comprendre sur quels critères la science peut prétendre établir qu’une forme est plus parfaite qu’une autre, ni d’ailleurs en quoi la notion de perfection ou d’imperfection a quelque valeur scientifique ! Ma perplexité augmente quand l’auteur précise que « les mammifères sont plus parfaits que les reptiles, qui le sont plus que les poissons, qui le sont plus que les vers, qui le sont plus que les bactéries » (p. 62, note 14).Je soupçonne   dans cette affirmation quelque relent de la prétendue loi de « complexité-conscience » de l’univers teilhardien5

L’auteur semble conscient des faiblesses de l’argumentaire évolutionniste puisqu’il affirme ensuite : « les théories explicatives, comme la filiation d’une espèce à l’autre, le rôle du hasard, de la sélection naturelle, des mutations, se heurtent en effet à de grandes difficultés et n’ont pas de véritable statut scientifique : ce sont des hypothèses qui n’ont pas à être enseignées, du moins dans l’enseignement secondaire (où il n’est guère possible d’enseigner à la fois une théorie et sa critique) (p. 63).

Il poursuit sur le vœu de bâtir un « tiers parti » entre fixisme absolu et évolutionnisme généralisé : «Une  explication scientifique totalement satisfaisante du vivant qui n’exclura pas par principe l’ouverture à une causalité métaphysique » (p. 63), vœu qui n’a rien de scientifique au sens strict et dont on peut légitimement regretter le caractère « concordiste ».

b) Sur le plan philosophique

Pour le P. de Blignières, il n’y a pas d’impossibilité métaphysique au passage d’une espèce à une autre par voie d’évolution. Je lui accorderai ce point6. On peut même dire que Dieu étant l’Être absolu, sans limitation aucune, l’espace-temps dans lequel il inscrit l’univers et qu’il maintient constamment dans l’être est pour lui comme un instant… et ce, qu’il s’agisse donc de quelques millénaires ou de milliards de siècles…

Encore faut-il que le plan d’ensemble soit cohérent.

Or le P. de Blignières se voit immédiatement obligé de donner un gros coup de canif dans la théorie de l’Évolution, car il lui faut en exclure le cas de l’âme humaine, laquelle « étant spirituelle, ne peut apparaître que par une “ création spéciale de Dieu” » (p. 64).

Mais en dehors de ce cas particulier, il retient comme hypothèse plausible « l’“émergence”, sous l’influx actif du tout de l’univers comme tout, de formes nouvelles et plus complexes, actualisant des virtualités contenues dans l’ensemble du cosmos, ainsi que les natures stables qui se constituent progressivement en son sein » (p. 64).

Quel peut être cet « influx actif du tout de l’univers comme tout» sinon une divinisation panthéiste de l’univers ? Pour s’en défendre, l’auteur invoque l’hypothèse d’une sorte de super-puce informatique que Dieu aurait cachée subrepticement dans le Big bang « pour lui permettre de déployer progressivement ses puissances latentes » (p. 65).

Je ne vois pas en quoi la perfection divine serait grandie en supposant que l’artiste aurait plutôt été un informaticien génial ayant tout programmé dans une puce glissée dans le Big bang, surtout d’ailleurs si on doit admettre qu’Il fut incapable de mettre la création de l’homme dans son programme informatique,  et que le programme pour les autres espèces est à base d’essais et d’erreurs, avec logiciel de tri et de mise à la corbeille suivant des algorithmes a priori élaborés selon le hasard et la nécessité !

À ce concept panthéisto-compatible « d’influx actif du tout de l’univers comme tout »,il nous semble judicieux d’opposer le concept thomiste de forme comme cause efficiente de l’organisation de la matière. Il conviendrait donc de creuser les notions de matière et de forme, ce qui est bien évidemment impossible dans le temps qui m’est imparti. La pensée de saint Thomas sur ce sujet, matière et forme, est fort ample. Notamment il en ressort une hiérarchie des êtres, composés de matière et forme dès les « briques » les plus élémentaires, lesquelles deviennent à leur tour matière pour les formes plus nobles qui passent ainsi de la « puissance » à l’acte.

En raccourci, j’oserai dire que la forme est ce qui informe la matière pour lui donner « forme », justement. La « matière » est paradoxalement plus difficile à cerner alors qu’à l’expérience immédiate, elle semble le solide, le réel concret que l’on peut palper.

Mais plus on scrute en microphysique quantique l’infiniment petit, plus on se retrouve, semble-t-il, dans un univers d’énergies circulant dans du vide selon des processus d’informations qui nous demeurent très mystérieux… donc de l’impalpable en tous cas. Métaphysiquement, la matière ne serait-elle donc que du quasi non-être7  ?

Cette question rejoint alors celle du mystère de la Création. Pour créer des êtres différents de Lui, Dieu, Être absolu, a logiquement besoin de mettre une distance, des limites entre Lui et ses créatures, limites qui ne peuvent être que du non-être… Mais, logiquement, faire être le non-être est une contradiction absolue. Philosophiquement, la Création est donc à la fois une quasi-nécessité logique, vu l’harmonie de l’univers dans son infinie diversité, et une quasi-impossibilité logique, vu la transcendance du Créateur.

Comme le dit le P. de Blignières, « le monde doit d’abord “ être ” et donc passer du néant à l’être » (p. 69), acte créateur de Dieu incompréhensible pour l’homme. Pour l’auteur, si l’on remonte logiquement des causes secondes vers la Cause première, argument classique pour prouver l’existence de Dieu en philosophie aristotélico-thomiste, « la théorie de l’évolution généralisée présente une plus grande convenance philosophique que ses concurrentes fixistes ou créationnistes » (p. 66). En effet, elle « éviterait les “ reprises en sous-œuvre ” que seraient des interventions directes de Dieu créant individuellement chacune des natures, à chacun des stades où elles apparaissent dans le cosmos. Dieu ayant coutume d’agir ordinairement par les causalités secondes, de telles interventions directes de Dieu… ne doivent être supposées que lorsqu’une nécessité métaphysique y contraint, comme dans le cas de la création de l’âme spirituelle de l’homme8 » (p. 66-67).

Donc la création de l’homme dans sa spécificité serait une « reprise en sous-œuvre » dictée par une nécessité métaphysique dont se souviendrait soudainement l’artiste.

Que voilà une origine peu glorieuse pour celui qui apparaît dans le récit de la Genèse comme le couronnement de la Création : « Créons l’homme à notre image… » ! N’est-il pas plus simple et plus cohérent d’admettre que l’action ordinaire de Dieu par les causalités secondes n’est vraie qu’au terme des 6 Jours, cette période pendant laquelle Dieu réalise son œuvre, période d’innovations permanentes, ou si l’on préfère de « miracle permanent » dont bien évidemment nous ne pouvons, humainement, rien connaître puisque justement ce n’est qu’à partir du 7e Jour que Dieu « chôma après tout l’ouvrage qu’il avait fait » (Gn 2, 2).

Philosophiquement, la démarche scientifique s’arrête au monde observable, une fois ce monde achevé dans son harmonie déjà constituée. Ce qui s’est passé pendant une phase de Création – que l’on peut appeler Big bang si l’on veut9, mais à condition d’admettre que nous n’en connaissons ni la durée ni le déroulement – échappe à tout raisonnement scientifique. Le philosophe découvrant le récit biblique peut admirer le travail de l’Artiste divin ainsi décrit en 6 étapes, mais il ne peut bien évidemment pas prouver la véracité de ce récit dépassant notre imagination. Il ne peut que l’accueillir avec reconnaissance.

c) Au plan théologique

Ainsi le temps de la Création fut-il un temps de miracles permanents, et le repos de Dieu au 7e Jour signifie justement que, Sa Création achevée, Dieu se contente de la soutenir dans l’être par le jeu normal des causes secondes, motion divine thomiste que rappelle l’auteur, avec une intervention spéciale à la conception de tout homme, dont la forme a la particularité d’être une âme immortelle « à l’image de Dieu ».

Autrement dit, Dieu agit comme un artiste qui pose le cadre de son œuvre, puis va progressivement dans le détail (éventuellement d’ailleurs avec une palette restreinte de « briques ») jusqu’à la touche finale qui donne plénitude de sens à toute l’œuvre : l’homme. La particularité proprement divine de l’Artiste réside justement dans le fait qu’il n’y a ni erreurs ni reprises dans ses « coups de pinceau ». La forme de chaque espèce est immédiatement parfaite.

La forme de l’homme est spécifique par rapport à celle du chimpanzé, en particulier par sa capacité d’abstraction, l’intellect-agent cher à saint Thomas, qui lui permet d’accéder à l’universel, la species expressa, et ainsi de dialoguer avec Dieu, étant créé à Son image. Cette spécificité découle de son caractère immortel, spirituel. Mais cette forme particulière, l’âme humaine, informe aussi toute la matière du corps comme pour les autres êtres… De plus, elle seule est immortelle… vérité de foi, donc théologique et non simplement métaphysique.

Contrairement à l’auteur, je ne vois donc pas en quoi « la théorie de la descendance par voie d’évolution progressive se présente sous des signes assurément attrayants » (p. 68).

d) Dangers de la théorie de l’Évolution

Ainsi la théorie de l’Évolution facilite grandement la négation du Dieu créateur10 ou la conception d’un Dieu créateur quelque peu maladroit, hésitant et imparfait. En outre, elle incite à considérer le mystère de la Rédemption non comme une réalité profonde, mais comme un récit symbolique destiné à nourrir la ferveur religieuse11.

L’auteur rappelle à cet égard à juste titre, suivant Pie XII (Humani generis), que le polygénisme est incompatible avec le dogme du péché originel… mais il croit pouvoir conclure, avec Jean-Paul II (1996), que « de nouvelles connaissances conduisent à reconnaître dans la théorie de l’évolution plus qu’une hypothèse12 ». Certes le polygénisme est plus conforme que le monogénisme aux théories évolutionnistes ! Mais dans tous les cas, Adam et Ève apparaîtraient sous les traits de quelque cousin évolué du chimpanzé et non sous les traits gracieux du chef-d’œuvre d’une image de Dieu encore non déformée par le péché !

L’on conçoit mal que cet être à peine redressé sur ses pattes de derrière et balbutiant ses premiers borborygmes puisse décider, en pleine conscience, de prendre possession de l’arbre de la connaissance du bien et du mal et se vouloir ainsi dieu à la place de Dieu ! Or, si Adam n’est qu’un terme générique désignant un vague type morphologique, il n’y a plus de solidarité substantielle dans le péché entre tous les hommes. Il ne peut donc y avoir non plus de solidarité substantielle dans le salut par le Christ nouvel Adam ! Le corps du Christ, l’Eucharistie et la communion des saints deviennent des symboles… et le Christ lui-même un simple modèle, certes à imiter, mais qui date un peu… modèle donc à réactualiser pour le chrétien évolué, qui dispose aujourd’hui de la version 3.0… pour adapter l’enseignement du Christ à sa convenance…

Manifestement hélas, le danger d’une telle dérive n’est pas purement théorique, même chez les « bons chrétiens » et ce en toute bonne foi ! Convient-il de prôner à ce sujet « la prudence et la modération » face à l’idéologie triomphante dans les hautes hiérarchies de notre société civile ? On peut se demander quelle serait l’attitude de Jésus ! Et certes, il fallut du courage à Nicodème, membre du Sanhédrin, pour aller le rencontrer, fût-ce en cachette !

Conclusion. Interrogations

Ainsi la théorie évolutionniste a pour principale conséquence pratique (dans sa variante théiste) de reléguer le Créateur au rang d’un artiste tâtonnant laborieusement pour améliorer des espèces toujours imparfaites. On peut donc légitimement s’interroger sur Sa propre perfection en tant que Dieu et sur Sa responsabilité à l’égard du mal et de la souffrance, conçus comme des conséquences de cette imperfection. Le Péché originel en devient peu compréhensible, et le mystère de la Rédemption en Jésus, nouvel Adam, s’en trouve obscurci.

Le plus étonnant à cet égard est peut-être l’absence de dialogue réel entre chrétiens sur ce problème majeur. La présente rencontre est une heureuse exception qui nourrit l’espérance. Que l’organisateur en soit vivement remercié !

Je terminerai par deux interrogations :

– Un approfondissement des notions de matière et de forme développées selon la philosophie thomiste, avec leurs correspondances en sciences de la nature, ne serait-il pas un éclairage heuristique plus fécond, scientifiquement, que les théories évolutionnistes fondées sur le hasard et la nécessité, et ce, sur une durée quasi infinie à partir d’un Big bang  dont on ne peut rien connaître directement ?… Inversement, considérer comment le verbe, qui est information et énergie, donne vie à la matière, ne permettrait-il pas de mieux comprendre le mystère de l’Eucharistie par lequel le Corps glorieux du Christ vivifie le chrétien jusques à ses entrailles en le portant au sein même du Mouvement ineffable de l’Amour trinitaire ?

1 Sedes Sapientiæ n° 106, hiver 2008, p. 57-77.

2 Cf. T. TARPLEY & al., « Le moulinet de la rivière Tellico », Le Cep n°60, p. 19.

3 Ndlr. Pensons ici à l’impact du microscope électronique qui nous révèle une complexité et une miniaturisation insoupçonnées dans une « simple » ( ? ) cellule. Le concept même d’une évolution « progressive » (inspiré jadis par l’anatomie) s’en trouve presque dénué de sens.

4 Ndlr. Phylum : Lignée évolutive supposée. Bizarrement, l’auteur met ici en note la définition suivante : Phylum : souche primitive d’où est issue une série d’êtres (Littré). Or le mot ne figure pas dans le Littré et le sens donné est, de toutes façons, inexact : l’évolution se fait au sein d’un phylum et non par passage d’un phylum à un autre. C’est pourquoi la baleine (qui est classée parmi les mammifères) n’est pas un poisson « évolué », mais serait issue d’un mammifère terrestre ayant eu un jour l’idée saugrenue de revivre dans l’eau d’où ses lointains ancêtres étaient sortis.

5 Ndlr. Le bien est l’ennemi du mieux. L’idée d’un « progrès » suppose donc une carence dans l’espèce à perfectionner. Or il est impossible de signaler le moindre manque dans les êtres vivants, tous harmonieusement constitués. Un organe supplémentaire (un 6e doigt, par exemple) est toujours l’occasion d’une gêne. Et si l’on nous dotait d’ailes pour voler, comme notre vie quotidienne en serait embarrassée !

6 Ndlr. On pourrait défendre le contraire.

Le concept d’espèce est un des fondements de la métaphysique aristotélico-thomiste, liée qu’elle est à la forme. [Se reporter au RP. Chad RIPPERGER, (Ph. D.), The Metaphysics of Evolution. Evolutionary Theory in Light of First Principles.[5€ sur le site Books on demand avec le lien : https:/www.bod.de/shop/suchergebnisse.html?id=4806&tx_frshopplugins_pi6]. C’est peut-être pour cette raison que les modernes ont écarté la métaphysique et même cessé de l’étudier : libérer la voie pour les philosophies kantienne, phénoménologistes ou existentialistes, structuralistes, etc.

7 Ndlr. Se reporter à D. TASSOT, « La matière n’existe pas », in Le Cep n° 66, p. 1-6.

8 Ndlr. Il est surprenant qu’un thomiste néglige ici la distinction que fait saint Thomas entre l’ordre de la Création (action divine exclusive lors des 6 Jours) et l’ordre de la Providence (action des causes secondes à partir du 7e jour, la Création étant achevée et la science devenant, de ce fait, possible). Ce « repos de Dieu » au 7e Jour fait désormais du miracle une exception, mais l’idée d’éparpiller les actes créatifs divins dans la durée du cosmos n’a de fondements ni dans l’Écriture, ni chez les Pères (y compris saint Augustin) ni chez saint Thomas. « Parler d’un acte créateur au sens propre dans le temps est une sorte d’hérésie thomasienne. » Cf. Fabien REVOL, Le Temps de la création, Paris, le Cerf, 2015, p. 192.

9 Ndlr. Le Big bang est une théorie physique liée, avec la Mécanique des particules, à un aspect très restreint de ce qui existe dans le monde. Il est un peu dépréciatif de comparer cette hypothèse d’un « atome primitif » (c’est le nom qu’avait proposé l’abbé Lemaître, l’inventeur) avec la genèse de notre merveilleux cosmos.

10 Ndlr. Richard DAWKINS, célèbre biologiste d’Oxford, a pu écrire : « Darwin a produit la justification intellectuelle qu’attendaient les athées », in The blind Watchmaker, New York, W. W. Norton & C°, 1986, p. 6.

11 Ndlr. Dès lors que la « Chute » n’est plus reçue comme un événement historique, le Mal dans le monde remonte logiquement à Dieu lui-même.

12 Ndlr. Il importe de savoir que la célèbre formule n’a pas été prononcée lors de cette séance de l’Académie pontificale, le 22 octobre 1996, et que le Pape n’en était pas l’auteur : cf. Le Cep n° 60, p. 92-93.

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