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Par Saint Thomas D’aquin

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Sur le « repos » de Dieu le septième Jour1

Résumé : Des commentaires des évangiles par les Pères de l’Église ont été complilés par saint Thomas pour former un admirable enchaînement, d’où le nom de « chaîne d’or ». Ceux qui suivent éclairent le subtil concept du « repos » de Dieu au septième Jour de la Création, ce Dieu qui, par ailleurs « agit sans cesse ». Or le paralytique guéri par Jésus un jour de sabbat avait reçu l’ordre d’emporter son grabat, ce qui était manifestement un « travail » violant la loi mosaïque du sabbat. Il faut comprendre que Dieu, Lui qui maintient à chaque instant l’univers dans l’existence, cessa de créer à la fin du sixième Jour. L’univers fut alors achevé, parfait, ses créatures au complet, si bien que la science devient possible, les causes secondes étant désormais entrées en jeu, donc étudiables par la science. A contrario, il en résulte que notre science ne peut rien nous apprendre sur les origines du monde ou de l’homme, des astres ou de la terre créés avant le Sabbat originel.

S. Augustin (Traité 17) Quant à ce paralytique, aussitôt qu’il eut vu Jésus et qu’il eut connu qu’il était l’auteur de sa guérison, il s’empressa de publier sans aucun retard le nom de son bienfaiteur : « Cet homme s’en alla et apprit aux Juifs que c’était Jésus qui l’avait guéri. »

S. Chrysostome (Hom. 38) Gardons-nous de croire qu’après un si grand bienfait, et l’avertissement qui l’avait suivi, cet homme eût si peu de reconnaissance que d’agir ici par un sentiment de méchanceté ; s’il avait eu l’intention d’accuser le Sauveur, il n’eût parlé que de la violation du sabbat, sans rien dire de sa guérison ; mais il fait tout le contraire, il ne leur dit pas : C’est Jésus qui m’a commandé d’emporter mon lit (ce qui paraissait un crime aux yeux des Juifs), mais : « C’est Jésus qui m’a guéri. »

S. Aug.(Traité 17) À une déclaration si franche, les Juifs ne répondent que par une haine toujours croissante : a) C’est pourquoi les Juifs persécutaient Jésus, parce qu’il faisait ces choses-là le jour du sabbat. Une œuvre évidemment matérielle et servile avait été faite sous leurs yeux, ce n’était point la guérison de ce paralytique, mais l’action d’emporter son lit, ce qui ne paraissait point aussi nécessaire que sa guérison. Notre-Seigneur déclare donc ouvertement que la loi figurative du sabbat et l’obligation de garder ce jour n’avaient été données que pour un temps aux Juifs, et que cette loi figurative trouvait en lui son accomplissement : « Mais Jésus leur dit: Mon Père ne cesse pointd’agir jusqu’à présent, et moi aussi j’agis sans cesse.»

(Traité 20) C’est-à-dire : Ne croyez pas que mon Père se soit reposé le jour du Sabbat, en ce sens qu’il ait cessé d’opérer ; non, il continue d’opérer sans aucun travail, et j’agis de même à son exemple. Le repos de Dieu doit donc s’entendre dans ce sens, qu’après avoir achevé l’œuvre de la création, il n’a plus tiré du néant de nouvelles créatures. C’est ce que l’Écriture appelle repos, pour nous apprendre que nos bonnes œuvres seront suivies d’un repos éternel. C’est après avoir fait l’homme à son image et à sa ressemblance, après avoir achevé tous ses ouvrages, et vu que toutes les choses qu’il avait faites étaient très-bonnes, que Dieu se reposa le septième jour ; ainsi n’espérez point de repos pour vous-mêmes, avant d’avoir recouvré cette divine ressemblance que Dieu vous avait donnée et que vous avez perdue par vos péchés, et avant que votre vie ait été remplie par la pratique des bonnes œuvres.

S. Aug. [de la Genèse expliq., littér., chap. 11) Il est probable que le précepte de l’observation du sabbat fût donné aux Juifs comme une figure de l’avenir et pour signifier le repos spirituel semblable au repos de Dieu, et qu’il promettait sous une forme mystérieuse aux fidèles qui auraient persévéré dans la pratique du bien.

S. Aug.2 Le Sabbat viendra lorque les six âges du monde, qui sont comme les six Jours, seront écoulés, et c’est alors que les saints jouiront du repos qui leur est promis.

— S. Aug. (De la Gen. expl. litt., ch. 2.) Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même a voulu consacrer par sa sépulture le mystère de ce repos, en se reposant dans le tombeau le jour du sabbat, après avoir achevé toutes ses œuvres le sixième Jour, et il prononça cette parole solennelle : « Tout est consommé. » Qu’y aurait-il donc d’étonnant que Dieu, voulant comme figurer d’avance le jour où le Christ devait se reposer dans le tombeau, ait choisi ce jour pour se reposer de toutes ses œuvres avant de dérouler l’ordre des siècles ? (ch. XII) On peut encore entendre ce repos de Dieu, en ce sens qu’il cessa alors de créer de nouvelles espèces d’êtres, car il n’en a créé aucune depuis ce repos mystérieux. Mais depuis cette époque jusqu’à la fin des siècles, il gouverne tous ces êtres qu’il a créés. Sa puissance n’a donc pas abdiqué le septième Jour le gouvernement du ciel, de la terre et de toutes les choses dont il est le créateur, autrement elles rentreraient aussitôt dans le néant. En effet, c’est la puissance du Créateur qui est l’unique cause de l’existence de toutes les créatures, et si l’action de cette divine puissance cessait un instant de se faire sentir, elles cesseraient elles-mêmes d’exister, et toute la nature rentrerait dans le néant. Il n’en est pas du monde comme d’un édifice que le constructeur peut abandonner après l’avoir construit, et qui reste debout alors que celui-ci a cessé d’y mettre la main; le monde serait détruit en un clin d’œil si Dieu lui retirait son action régulatrice. Ces paroles du Sauveur : « Mon Père ne cesse d’agir », indiquent une continuation de l’œuvre divine qui embrasse et gouverne toute créature. On pourrait les entendre dans un autre sens, s’il avait dit : « Et il opère maintenant », sans qu’il fût nécessaire d’y voir la continuation non interrompue de son œuvre, mais nous sommes forcés de leur donner le premier sens, parce que Notre-Seigneur dit expressément : « Il ne cesse d’opérer jusqu’à présent depuis le jour qu’il a créé toutes choses ».

S. Aug. (Traité 17) Notre-Seigneur semble donc dire aux Juifs : Pourquoi vouloir que je ne fasse rien le jour du sabbat ? La loi qui vous ordonne de garder le jour du sabbat vous a été donnée en figure de ce que je devais faire.

Vous considérez les œuvres de Dieu, or c’est par moi que toutes choses ont été faites. Mon Père a créé la lumière mais en disant : « Que la lumière soit ! ». S’il a dit cette parole, c’est par son Verbe qu’il a créé la lumière, et c’est moi qui suis son Verbe. Mon Père a donc agi lorsqu’il a créé le monde, et il agit encore en le gouvernant ; donc c’est par moi qu’il a créé le monde lorsqu’il l’a tiré du néant, et c’est par moi qu’il le gouverne, lorsqu’il lui fait sentir les effets de son action providentielle.

S. Chrys. Lorsque Jésus-Christ avait à défendre ses disciples contre le même grief, il produisait l’exemple de David comme eux serviteur de Dieu; mais lorsque lui-même est en cause, il invoque l’exemple de son Père. Remarquons que ce n’est ni comme homme exclusivement, ni comme Dieu qu’il se justifie, mais tantôt sous un rapport, tantôt sous un autre, car il voulait que le mystère de ses humiliations fût l’objet de la foi comme le mystère de sa divinité. Il établit donc ici sa parfaite égalité avec son Père, et en l’appelant son Père d’une manière toute spéciale (il dit en effet : « Mon Père », et en faisant les mêmes choses que lui : (« Et moi aussi j’agis sans cesse »). Aussi les Juifs cherchaient encore plus à le faire mourir, parce que non content de violer le sabbat, il disait encore que Dieu était son Père, se faisant ainsi égal à Dieu. »

. — S. Aug.(Traité 17) Ce n’était pas d’une manière quelconque, mais dans quel sens? « En se faisant égal à Dieu. » Nous disons tous à Dieu : « Notre Père qui êtes aux cieux ». Nous lisons dans Isaïe, que les Juifs lui disaient : « Vous êtes notre Père3 (1). » Ce qui les irritait n’était donc pas qu’il appelait Dieu son Père, mais qu’il le faisait dans un autre sens que le reste des hommes.

S. Aug. (De l’acc. des Évang., IV, 10) En disant : « Mon Père continue d’agir jusqu’à présent, et moi aussi j’agis sans cesse », il a voulu prouver qu’il était égal à son Père, car il donne comme conséquence que le Fils agit, parce que le Père agit lui-même, et que le Père ne peut agir sans le Fils.

S. Chrys. (Hom. 38 sur S. Jean) Si Jésus n’était pas le Fils naturel et consubstantiel au Père, sa justification serait pire que le crime qu’on lui reproche. Un préfet, un gouverneur qui transgresserait un décret royal, ne pourrait se justifier en disant que le roi lui-même transgresse la loi. Mais comme ici la dignité du Fils est égale à celle du Père, la justification ne laisse rien à désirer. Le Père qui continue d’agir le jour même du sabbat est à l’abri de tout reproche, il en est de même du Fils.

S. Aug. (Traité 17.) Voici que les Juifs comprennent ce que les ariens ne veulent point comprendre ; les ariens prétendent que le Fils n’est pas égal au Père, et de là vient cette hérésie qui afflige l’Église.

S. Chrys. (Hom. 38) Ceux qui ne veulent pas interpréter ces paroles avec un esprit droit, disent que Jésus-Christ ne s’est pas fait égal à Dieu, mais que c’était là un simple soupçon des Juifs. Raisonnons ici d’après ce que nous avons dit plus haut. Il est incontestable que les Juifs poursuivaient Jésus-Christ, et parce qu’il transgressait la loi du sabbat, et parce qu’il disait que Dieu était son Père ; donc les paroles qui suivent : « En se faisant égal à Dieu », doivent être entendues dans le même sens que celles qui précèdent, c’est-à-dire dans le sens littéral4.


1 Extrait de La Chaîne d’Or (Catena aurea), Commentaire de l’évangile Jn 5, 14-15, repris dans la rédition par les Expéditions pamphiliennes, Saignon, s .d., p. 293-297, traduction française de l’abbé J.M. Peronne. Souligné par nous.

2 On trouve quelque chose de semblable un peu après le commencement du traité XX, de même que dans le chapitre XXIII du livre I, Sur la Genèse, contre les Manichéens, et dans les chapitres 9 et 10 de l’épître 119 à Januarius.

3 (I) Is 63, 16 & 64, : en héb. אבינו ‘avinou, « Tu es notre Père » ; Si 23, 4 : en grec πάτερ patèr, « Père et Dieu de ma vie ! ».

4Le texte grec de saint Jean Chrysostome est plus clair et plus concluant que la médiocre traduction suivie ici par saint Thomas : « Dites-moi, les Juifs persécutaient-ils Jésus-Christ ou non? Ils le persécutaient, c’est un fait connu de tous. Le persécutaient-ils pour une autre cause ? Non, tout le monde l’avoue. Notre-Seigneur transgressait-il ou non la loi du sabbat ? Il la transgressait, personne ne peut le nier. Appelait-il Dieu son Père ou non ? Il l’appelait évidemment. » Tout le reste doit donc s’entendre dans le même sens. Ce n’est point en apparence, mais bien en réalité qu’il appelait Dieu son Père, qu’il transgressait le jour du sabbat, et que pour ce motif les Juifs le persécutaient davantage ; c’est donc aussi de la même manière et dans le même sens littéral qu’il faut prendre ces paroles: « Se faisant égal à Dieu. »

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