Partager la publication "Une nouvelle académie pour la vie ?"
Par De Pamplona Jean
Jean de Pamplona1
Résumé : L’Académie Pontificale pour la Vie (APV) avait été fondée par Jean-Paul II en 1994, afin que les questions liées à la vie ne soient plus soumises à une Académie pontificale des Sciences qui venait de s’élever contre la position de l’Église sur la contraception. Le premier président de l’APV fut le Pr Jérôme Lejeune, connu pour son engagement « pro-vie » sans compromission. Mais, en 2016, les membres de l’APV furent destitués d’office, d’autres statuts rédigés et de nouveaux membres furent choisis en majorité parmi les personnalités « ouvertes » aux nouvelles orientations éthiques du Vatican.
Il fallait réagir. Ainsi naquit une autre Académie, hors mandat pontifical, l’Académie Jean-Paul II pour la Vie humaine et la Famille (APVHF) dont les objectifs et les premières actions sont présentés ici.
Introduction.
En réponse à la réforme des statuts de l’Académie pontificale pour la vie (APV) approuvés par le pape François le 18 octobre 2016 et publiés le 31 décembre 2016, quelques anciens membres permanents, remerciés et non reconduits, prirent la décision, le 28 octobre 2017, de fonder une Académie Jean-Paul II pour la Vie humaine et la Famille (APVHF), en anglais, The John-Paul II Academy for Human Life and the Family(JAHLF).
Cette nouvelle Académie se fixe l’objectif de pérenniser les buts et actions voulus par Jean-Paul II et précisés par le Motu proprio Vitæ Mysterium du 11 février 1994.
Les successeurs du professeur Lejeune, premier président décédé en avril de la même année, restèrent fidèles aux statuts initiaux, malgré quelques signes avant-coureurs inquiétants en 2009 et 2012. La réforme de 2016 semble donc annoncer un changement de cap radical.
Avant 1994, les questions de respect de la vie étaient soumises, entre autres organismes du Vatican, à l’Académie pontificale des sciences (APS), mais celle-ci n’avait parmi ses membres que très peu de spécialistes de la question.
Et les opinions de plus en plus hétérodoxes de l’APS sur le respect de la vie rendaient urgente, dans l’esprit de Jean-Paul II et du professeur Lejeune (lui-même membre de l’APS), la création d’une instance compétente sur ces sujets, en parfait accord avec l’enseignement de l’Église.
La renommée des colloques et études de l’APV sur les questions de respect de la vie est universelle. La qualité de ses travaux scientifiques en philosophie, biologie, médecine, etc. fut un atout considérable dans le combat contre les groupes de pression malthusiens et contre les lobbies propagateurs de la culture de mort. Ses réfutations de la théorie du gender, ses études sur les cellules souche adultes, ses critiques sur la définition de la « mort cérébrale », ses réfutations du prétendu droit à « la santé reproductive », sa défense inlassable du respect de la vie ont aidé à la prise de conscience, dans de nombreux pays, de la pertinence de l’enseignement de l’Église catholique. La fureur des propagateurs de la culture de mort est proportionnelle à la pertinence et à la vérité des positions défendues par l’Académie pour la vie.
Mais que nous prépare la réforme de 2016 ?
La réforme de l’APV.
L’annonce de la modification des statuts de l’APV fut précédée, à la surprise générale, par la destitution à l’automne 2016 de tous les membres honoraires, membres ordinaires permanents (nommés à vie) et membres correspondants. Bien que les nouveaux statuts entrassent en vigueur dès le 1er janvier 2017, les nouveaux membres ne furent nommés que le 16 mai et le 25 juillet 2017.
Notable changement : les statuts sont approuvés pour une durée de cinq ans et les membres ne sont plus nommés à vie, mais pour la même durée de cinq ans, renouvelable.
Encore plus notable : la suppression de l’engagement à respecter la foi et la morale de l’Église, connu sous le nom de « serment Lejeune » que tout futur académicien devait signer avant sa nomination.
Certains commentateurs n’hésitèrent pas à parler de « purge » en remarquant que parmi les éminents défenseurs de la vie et de la morale catholique, ceux qui avaient émis des réserves sur l’Exhortation apostolique post-synodale Amoris lætitia ou l’Encyclique Laudato Si’ n’étaient pas reconduits (à l’exception notable du cardinal Caffara, un des quatre signataires des « Dubia », qui devait décéder le 6 septembre 2017). De même, certains académiciens jugés trop combatifs dans leur défense de la vie, depuis la conception à la mort naturelle, n’ont pas été reconduits2. Ces mêmes commentateurs prédisaient un changement d’orientation voulu par le président Mgr Paglia. Ce dernier, proche de la communauté Sant’Egidio et des milieux homosexuels, cumule depuis le 17 août 2016 les fonctions de président de l’APV et de grand-chancelier de l’Institut pontifical Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille (le président est Pierangelo Sequeri3, membre de droit du comité directeur de l’APV). Auparavant, de 2012 à 2016, Mgr Paglia était président du Conseil pontifical pour la famille. La fusion, le 17 août 2016, de ce dernier avec le Conseil pour les laïcs prit le nom de dicastère pour les laïcs, la famille et la vie.
Le préfet en est le cardinal Farrell, ancien légionnaire du Christ, ancien collaborateur de l’ex-cardinal McCarrick et signataire d’une préface à un ouvrage du controversé père jésuite James Martin4.
D’après les nouveaux statuts, les buts poursuivis par l’Académie semblent bien rester le respect de la vie et de la dignité humaine, mais il est demandé une ouverture plus grande aux opinions divergentes de spécialistes non-catholiques. Les opposants actifs ou potentiels à ce dangereux tournant, pouvant aboutir à une morale de situation, devaient être débarqués au préalable, sans préavis.
La présence à l’APV-nouvelle du théologien anglican Nigel Biggar, professeur de morale et de théologie pastorale à l’université d’Oxford, favorable à l’avortement, mais se disant opposé à l’euthanasie, n’est pas faite pour rassurer sur les nouvelles orientations et sur le choix de nomination des nouveaux membres. Il en est de même du Dr Katarina Le Blanc (Suède), médecin hématologue, ouvertement pro-avortement. L’abandon des recommandations « trop rigides » de l’Église en matière de comportement sexuel est demandé par les Françaises Anne-Marie Pelletier (École cathédrale, Paris), Marie-Jo Thiel (Strasbourg) et le père jésuite Thomasset. Le théologien jésuite Maurizio Chiodi, enseignant à Bergame et à Milan, est favorable à la contraception dans certains cas.
L’assemblée ordinaire de l’Académie pontificale pour la vie réformée eut lieu du 5 au 7 octobre 2017 et la séance fut ouverte par le pape François en personne. Le thème : « Accompagner la vie. Nouvelles responsabilités à l’ère technologique. »
Le discours prononcé par le Souverain Pontife le 27 octobre 2017, devant l’Institut pontifical Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille, appelait à renouveler le regard de cet institut sur les questions relatives au couple et à la famille en prenant en compte la complexité et la multiplicité des situations concrètes.
Le pape François s’était même laissé aller à affirmer que l’Église avait jusqu’ici présenté « un idéal théologique du mariage trop abstrait, construit quasiment artificiellement » et « loin des situations concrètes des familles ».
Il apparaît clairement que tous les organismes du Vatican ayant à traiter les questions de respect de la vie sont, depuis fin 2016, sous la direction de Mgr Paglia et de ses amis, partisans du relativisme et d’une « libéralisation » de la morale catholique.
La nouvelle Académie APVHF
La constatation de ces changements et nominations poussa quelques membres non reconduits à fonder une Académie nouvelle reprenant la suite de celle fondée par Jean-Paul II, avec les objectifs initiaux. On peut dire que cette nouvelle académie continuera le travail de l’ancienne. Ces anciens membres se sentaient liés par leurs engagements au service de l’enseignement de l’Église en matière de respect de la vie. L’annonce fut faite le 28 octobre 2017 par le philosophe autrichien Josef Seifert, mondialement apprécié pour son enseignement et la qualité de son Académie Internationale de philosophie.
Le nom choisi, Académie Jean-Paul II pour la Vie humaine et la Famille5, montre le lien très fort avec le fondateur de l’ancienne APV, mais sans l’adjectif « pontificale », car fondée à l’initiative de laïcs et non reconnue par les autorités du Vatican.
Le 3 novembre 2017, le journal La Croix titrait : « Des opposants au pape François lancent une contre-Académie pour la Vie », insinuant l’existence d’un « complot » de forces conservatrices obscures visant à empêcher l’ouverture de l’Église catholique aux problèmes vécus par les fidèles dans leur vie quotidienne et dans un monde déchristianisé et hostile. Cette interprétation du journal est absurde, car les critiques et demandes d’éclaircissement et d’audiences furent formulées aux intéressés avant d’être rendues publiques, suite à l’absence de réponse, dans une démarche parfaitement loyale.
Tableau comparatif de la réforme de l’Académie pontificale pour la vie (avant décembre 2016/après janvier 2017)
Ancienne APV | APV « nouvelle » | |
Date de fondation | 11 février 1994 (Motu proprio MysteriumVitæ) | 31 décembre 2016 (approbation papale des statuts le 18 octobre 2016) |
Premier président | Pr Jerôme Lejeune | Mgr Vincenzo Paglia |
Texte des statuts | https://w2.vatican.va/content/francesco/fr/motu_proprio/documents/papa-francesco_20161018_statuto-accademia-vita.html | |
Durée des statuts | indéfinie | révisables après 5 ans |
Mention du Magistère dans les statuts | oui | non |
Signature d’un engagement à défendre la vie | oui | non |
Catégories de membres | Honoraires Ordinaires Correspondants | Honoraires Ordinaires Correspondants Jeunes chercheurs (<35 ans) |
Durée du mandat | à vie, 5 ans pour les correspondants | 5 ans, renouvelables 2 fois pour ordinaires, 1 fois pour jeunes chercheurs |
Limite d’âge | non | Oui pour les membres ordinaires : 80 ans |
Il suffit d’analyser l’historique et la demande des quatre Cardinaux auteurs des « Dubia6 », agissant à visage découvert, pour écarter la thèse du « complot ». Une lettre au Pape du cardinal Caffara, du 25 avril 2017, ne reçut aucune réponse.
L’APV avait déjà connu des alertes et des motifs de désaccord entre ses membres. Par exemple, l’article ambigu du président, Mgr Fisichella, le 15 mars 2009, dans lequel il semblait admettre la licéité de l’avortement d’une très jeune brésilienne violée attendant des jumeaux7. Le 4 avril, 23 des 46 membres de l’APV avaient demandé une rectification à leur président qui fut refusée8. Une mise au point et un rappel de la doctrine catholique par la Congrégation pour la doctrine de la Foi furent nécessaires le 11 juillet 2009.
Le professeur Seifert avait signalé en mai 2012 des dérives lors d’un séminaire de l’APV sur l’infertilité, où des partisans de la fécondation in vitro avaient été invités. Le colloque sur les cellules-souche adultes, du 25 au 28 avril, fut annulé en raison de l’invitation d’une majorité de conférenciers faisant des recherches, gravement immorales, sur les cellules d’embryons.
Le Professeur eut à souffrir de quelques mesures répressives en raison de son rôle dans la rédaction du texte de « la filiale supplique au pape François sur le futur de la famille9 », du 29 septembre 2015, et après son article10 du 5 août 2017 critiquant les erreurs de logique et de raisonnement dans le § 303 de l’Exhortation apostolique post-synodale Amoris lætitia.
En septembre 2016, le professeur Seifert était interdit d’enseignement à l’Institut Édith Stein et, le 31 août 2017, destitué de sa chaire « Dietrich von Hildebrand » dépendant de l’Académie internationale de Philosophie du Liechtenstein (dont il est un des fondateurs) et licencié de l’université de Grenade par l’archevêque Mgr Javier Martinez Fernandez. L’accusation principale était l’atteinte à l’unité de l’Église. En réalité, il s’agit d’opposition légitime à ceux qui, au sein même de l’Église catholique romaine, promeuvent la morale de situation condamnée par le Magistère. Quelques mois auparavant, le même archevêque avait loué le travail du philosophe et l’avait remercié pour le don à l’Université de sa bibliothèque personnelle de 10 000 volumes et de deux reliques d’Édith Stein. Ainsi, du jour au lendemain, le professeur Seifert est passé officiellement dans le diocèse de Grenade de « défenseur de l’Église » à « semeur de division », sans qu’il ait lui-même changé quoi que ce soit à ses convictions.
Actions de l’APVHF
Elle réunit ses membres à des dates proches de la Marcia per la Vita11 à Rome au mois de mai et organise, comme l’ancienne APV, des colloques de haut niveau.
Les buts fixés sont :
- le rejet des erreurs de la société moderne qui ont investi le sanctuaire même de l’Église ;
- la défense de la vie de la conception à la mort naturelle, à la lumière de la vie éternelle. La réalité de l’âme humaine est fortement affirmée pour pouvoir saisir la plénitude et la beauté de la vie, quelle que soit la réalité biologique : enfants à naître, handicapés, malades, personnes âgées.
L’APVHF a fait une mise au point contre l’APV, qui hébergeait les 16-17 novembre 2017 le colloque européen de la World Medical Association sur le thème « fin de vie », au cours duquel des orateurs présentèrent des opinions contraires à la morale chrétienne12.
Une supplique pour demander le transfert du bébé Alfie Evans à l’hôpital du Bambino Gesù à Rome fut envoyée, en avril 2018, aux juges anglais et à la reine Élisabeth. Quelques jours après, le bébé Alfie était « débranché » et mourait dans les bras de ses parents, qui s’étaient battus jusqu’au bout contre les promoteurs de la culture de mort.
À l’occasion du 50e anniversaire d’Humanæ vitæ, l’APVHF organisa le 21 mai 2018 à Rome sa première conférence internationale ayant pour sujet « Vie humaine, famille et splendeur de la Vérité : dons de Dieu, Humanæ vitæ 50, Veritatis splendor 2513 ».
Le congrès des 20 et 21 mai 2019 à Rome a porté sur « la mort cérébrale » pour dénoncer le sophisme et les enjeux cachés derrière ce terme « médical »14. Cette notion a été inventée en 1968, juste après la première transplantation cardiaque par le Dr Barnard (Afrique du Sud), pour permettre la collecte d’organes humains sur des accidentés cérébraux non décédés.
Conclusion
L’Académie pontificale pour la vie, réformée en 2016, a gardé le nom de l’ancienne et une majorité des membres antérieurs, mais a changé les objectifs originaux, dans une volonté évidente de se conformer aux orientations « pastorales » qui aboutissent inévitablement à un affaiblissement et une relativisation des enseignements de l’Église. L’APV devra dorénavant se conformer à un prétendu « consensus éthique » parmi les scientifiques concernés, croyants ou non.
Par l’initiative de laïcs courageux, les buts définis par les fondateurs de 1994 sont pérennisés par l’Académie Jean–Paul II pour la Vie humaine et la Famille,qui est l’héritière morale et spirituelle du véritable combat de l’Église contre la culture de mort. Ainsi, ses membres adhèrent aux vérités immuables et s’appliquent à les mieux faire comprendre par la raison humaine.
Les réfutations des fausses conceptions (conséquence de la négation de la loi naturelle et du refus de l’enseignement de l’Église), comme, par exemple « santé reproductive », « droits humains », « mourir dans la dignité », « théorie du genre », « mort cérébrale », « procréation médicalement assistée », « cellules souche embryonnaires », etc. font partie des objectifs de cette académie.
Cette culture de mort prend ses racines dans les erreurs évolutionnistes qui considèrent le vivant comme une émanation de la matière et du hasard et, donc, manipulable sans scrupule ni considération morale. Une idée très répandue dans les milieux scientifiques prétend que le progrès n’est possible que dans la transgression systématique des règles morales de l’Église. Les horreurs présentes de cette monstrueuse idéologie (avortement, euthanasie, manipulations génétiques, procréations artificielles, transhumanisme, etc.) ne sont rien en comparaison de ce qui se produit déjà en Chine et qui nous attend dans un proche avenir.
1 Ancien chercheur au CEA, l’auteur nous avait déjà donné une histoire critique de l’Académie Pontificale des Sciences (Le Cep n° 44, juillet 2008, p. 20), éclairée par divers extrait significatifs de l’Encyclique Humani generis écrite par Pie XII en 1950.
2 Le vaticaniste Sandro Magister donne quelques noms des personnalités exclues de la nouvelle APV. Traduction française sur le site belge Diakonos : http://diakonos.be/settimo-cielo/nom-par-nom-la-metamorphose-de-lacademie-pontificale-pour-la-vie/
3 Lors d’un colloque sur l’Encyclique Humanæ vitæ à l’université de Milan, les 9-10 mai 2018, Mgr Sequeri prit la défense des méthodes naturelles de régulation des naissances, à la grande surprise de ceux qui connaissent ses tendances libérales et en opposition au P. Maurizio Chiodi, s.j.
https://avvenire.it/agora/pagine/humanae-vitae
4 James MARTIN S.J., « Building a Bridge. How the Catholic Church and the LGBT Community Can Enter into a Relationship of Respect, Compassion, and Sensitivity », HarperCollins US, 2018.
5 Les statuts, noms des membres et publications sont sur le site : https://jahlf.org/
6 Document soumis au Pape et à la Congrégation pour la doctrine de la Foi le 19 septembre 2016 et rendu public le 14 novembre 2016, en absence de réponse.
7 Michel SCHOOYANS, « Sur l’affaire de Recife et quelques autres… Fausse compassion et vraie désinformation », Paris, Éd. François-Xavier de Guibert, 12 mai 2017.
8 http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/133927775af.html?fr=y
9 Texte complet : https://filialappeal.org/full
Supplique qui avait recueilli 790 190 signatures dans 178 pays (Cardinaux, évêques, prêtres, laïcs).
10 Article original en allemand :
en.aemaet.de/wp-content/uploads/2018/09/Droht-reine-Logik-die-gesamte.pdf
et traduction en anglais :
en.aemaet.de/wp-content/uploads/2018/09/josef-seifert-pure-logic.pdf
11 Ndlr. Analogue italien de la « Marche pour la vie » organisée chaque année, en janvier, à Paris.
12 https://corrispondenzaromana.it/wp-content/uploads/2018/02/JAHLF-on-PAV-declaration.pdf
13 https://jahlf.org/wp-content/uploads/2018/03/JAHLF-conference-programme.pdf
14 https://jahlf.org/published-articles/