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Par Pr Pierre Rabischong
REGARD SUR LA CRÉATION
« Car, depuis la création du monde, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil nu quand on Le considère dans ses ouvrages.«
(Romains 1, 20)
Les neurones et l’influx nerveux1
Résumé : Le rôle de « chef d’orchestre » du cerveau est bien connu : de lui partent les influx nerveux qui provoquent la contraction de nos quelque 600 muscles et c’est à lui qu’aboutissent les informations données par les multiples capteurs sensoriels, permettant la coordination des mouvements.
Mais les circuits électriques de nos machines ne donnent qu’une faible idée du système nerveux. Ainsi l’axone qui prolonge nos neurones (cellules nerveuses) est composé d’une gaine de myéline de quelques microns de diamètre, dans laquelle circule un semi-liquide, milieu conducteur de l’influx. À la différence des autres cellules du corps, les neurones ne se renouvellent pas, et c’est sans doute une nécessité pour maintenir le caractère et la personnalité uniques de chacun de nous.
Des synapses, à l’échelle du micron, assurent l’interconnexion des neurones, telles des portes biochimiques s’ouvrant ou se fermant en fonction des opérations de notre pensée. Le système nerveux, décrypté, par le microscope électronique, s’avère d’une complexité qui force l’admiration.
Les composants
Ils sont de deux types : les neurones et les cellules gliales. En d’autres termes, les éléments nobles et les serviteurs. Chaque neurone constitue un corps cellulaire, avec tous les organites que nous connaissons dans les cellules : appareil de Golgi, reticulum endoplasmique, mitochondries, ribosomes, plus des structures spécifiques: microtubules et neurofilaments.
Une loi de polarisation détermine un sens dans la circulation de l’influx qui se fait des dendrites vers l’axone.
Les dendrites sont des prolongements très fins, de la taille d’un cheveu, et très ramifiés pouvant prendre des connexions avec d’autres cellules. À titre d’exemple, une cellule de Purkinje du cervelet peut avoir jusqu’à 200 000 connexions. L’axone est un prolongement, qui peut avoir une longueur de plus de 1 mètre, comme c’est le cas pour les fibres nerveuses du nerf sciatique. Se pose alors le problème technique de la résistance mécanique d’un filament d’un diamètre compris entre 25 et 3 µ sur 1 m de longueur, tout en ayant la consistance du blanc d’œuf.
En effet, le contenu axonal est semi–liquide et comporte un flux lent de 1 mm/j du corps cellulaire à la périphérie et un flux rapide de 400 mm/j au centre. La solution est dans la constitution d’une gaine dite de myéline, faite de phospholipides et produite par une cellule particulière, le neurolemnocyte ou cellule de Schwann. Il se forme une gaine par enroulement autour de la fibre nerveuse d’une lamelle phospholipidique. Il existe des discontinuités dans cette gaine formant les nœuds de Ranvier, où s’opèrent des échanges ioniques, expliquant la conduction saltatoire de l’influx. Dans le système nerveux central, les gaines sont fabriquées par une cellule gliale particulière, l’oligodendrocyte. Cette gaine fixe un calibre et donne ainsi la vitesse de conduction, qui, au maximum, est de 120 m/s pour les fibres de 25 µ. On est loin de la vitesse de la lumière utilisée dans les ordinateurs, mais cette vitesse, relativement lente, est largement suffisante pour les connexions à multiples étages. La classification des fibres nerveuses en A, B, C est ainsi fonction de leur diamètre et de leur vitesse de conduction.
Les neurones sont servis par les cellules gliales, qui assurent toute la maintenance. Elles font les liaisons avec le sang pour la trophicité des neurones, grâce aux astrocytes qui, par l’intermédiaire de pieds posés sur les vaisseaux, assurent les intermédiaires métaboliques nécessaires. Elles assurent l’épuration des déchets et même la défense immunitaire par la microglie. Cela explique, d’ailleurs, la relative facilité d’une greffe de neurones sans problème de rejet.
Le revêtement des cavités ventriculaires est fait d’une névroglie, dite épithéliale, avec des épendymocytes, qui peuvent avoir des spécifications sécrétoires, permettant la production permanente du liquide céphalorachidien. De très nombreuses tumeurs se développent à partir du tissu glial, devenu un thème de recherche important pour l’avenir.
Une des caractéristiques importantes des neurones est qu’ils ne se reproduisent pas de la naissance à la fin de la vie. Nous avons à la naissance un stock de neurones, qui ne changera pas. On pensait et on écrivait que nous perdons des neurones tous les jours, mais cette hypothèse de Soemmering n’a jamais été vérifiée et, au contraire, les neurones sont très bien gardés par les cellules gliales et peuvent survivre, sauf pathologie dégénérative, jusqu’à un âge très avancé.
Ce dogme de la non-reproductibilité des neurones a été quelque peu ébranlé, par l’identification des cellules souches (stem cells), qui sont des cellules polyvalentes à maturation tardive. On sait déjà que le système nerveux, chez l’homme, poursuit sa maturation plusieurs années après la naissance, à l’opposé des petits d’animaux, qui, dès la naissance, doivent se tenir sur leurs pattes et assurer leur alimentation par eux-mêmes, en allant aux mamelles de leur mère. Les cellules souches n’existent pas dans tout le système nerveux central, mais seulement dans des zones à forte activité, nécessitant un renouvellement de composants cellulaires, par une maturation tardive de cellules polyvalentes. C’est le cas du bulbe olfactif et du corps godronné placé dans le complexe hippocampique.
On doit faire deux remarques à ce propos. La première est que la non-reproductibilité des neurones, en particulier du cortex, semble être la condition indispensable pour maintenir, chez un individu, le même caractère et la même personnalité. Tous les humains sont véritablement des individus en ce sens, que, statistiquement, il n’est pas possible de retrouver, dans tous les accouplements des géniteurs, la même configuration de gamètes. Il y a en principe 200 millions de spermatozoïdes tous différents, dans une éjaculation, et un seul pénètre l’ovule, ou exceptionnement deux, pour faire un nouvel individu.
Changer périodiquement l’instrument par une reproduction possible des neurones serait changer la musique cérébrale. La constance du cerveau dans le temps garantit donc le maintien des caractéristiques psychiques d’un individu, tout au long de son existence. Bien entendu, le fonds culturel, dépendant principalement de l’environnement, peut changer avec le temps et l’expérience de la vie, avec ses caprices et ses vicissitudes, et peut amener un changement de réactions comportementales face à une situation donnée, mais l’instrument cérébral, lui, ne change pas. Les caractéristiques de cet instrument sont, malgré ce que pensent certains, fortement dépendantes du plan génétique hérité des parents. Chacun sait qu’un violon ne permet pas de jouer du violoncelle. Par contre, il y a une infinité de possibilités différentes de jouer du violon.
La seconde remarque est qu’en cas de destruction des neurones deux cas peuvent se présenter. S’il s’agit de la lésion d’une fibre nerveuse, par exemple par section, le corps cellulaire, par le flux axoplasmique, crée une régénération du bout proximal de la fibre, qui peut croître à raison de 1 mm par jour. La section d’un nerf périphérique, qui ne contient que des fibres nerveuses, peut être réparée par une suture des deux morceaux du nerf et, dans ce cas, les fibres en régénération peuvent pousser dans des tubes myéliniques déshabités mais vivants, puisque fabriqués par une autre cellule que le neurone. Nous savons encore peu de choses sur les phénomènes éventuels de neurotropisme qui susciteraient une attraction des fibres motrices vers les tubes myéliniques d’axones moteurs et des fibres sensitives vers les tubes sensitifs. Néanmoins, on peut espérer, dans les sutures nerveuses, une récupération de la fonction, utilisable quoique jamais complète. Pour les fibres sensitives, cette récupération peut se faire même très longtemps après la section nerveuse, du fait de la survie longue des récepteurs.
À l’origine, chez le fœtus, les cellules neurales sont des neuroblastes, qui sont groupées en amas tout autour de la cavité ventriculaire primitive. Il y a donc une migration obligatoire des neuroblastes, d’une position circumventriculaire à une position périphérique pour construire le cortex.
Or, cette migration s’effectue à partir de cellules gliales qui établissent un pont du ventricule jusqu’au futur cortex, en tendant une corde radiaire, le long de laquelle les neuroblastes ascensionnent, à la façon d’un alpiniste grimpeur, pour occuper la place qui leur est dévolue dans la matrice corticale. Imaginer ce processus sur une grande surface pour des milliards de neurones avec une mise en place de la couche la plus superficielle en dernier, obligeant les neurones à traverser toutes les autres couches, relève du prodige technique. Et pourtant cela se fait d’une façon très fiable, avec peu d’erreurs, sauf en cas de malformation due à une anomalie dans le plan de construction. Le fait que ce processus migratoire complexe s’opère depuis des milliers d’années sur des millions et des millions d’individus force à penser que la construction du cerveau n’est pas improvisée, ni „bricolée“, mais bien programmée et agencée selon un plan très précis.
En effet, les neurones sont interconnectés au moyen de jonctions, représentant de véritables portes biochimiques. Ces synapses peuvent être neurochimiques ou électriques. Cette dernière modalité rapide de connexion interneuronale se rencontre surtout chez les invertébrés et quelques vertébrés. L’appareil synaptique, dans son extrême miniaturisation, montre une organisation très précise, que le microscope électronique a permis de décrypter. Il y a trois niveaux: la membrane présynaptique, la fente synaptique et la membrane postsynaptique. Des systèmes microfilamentauex et des microtubules, avec de nombreuses mitochondries, entourent l’élément réactif du système: les vésicules synaptiques. Celles-ci sont de taille variable en fonction de la nature de leur contenu en neuro-transmetteur: acétylcholine, noradrénaline, neuropeptides en particulier. Des récepteurs spécifiques de ces neurotransmetteurs se trouvent dans la membrane postsynatique et, de ce fait, le passage transsynaptique nécessite la bonne „clé“ neurochimique, qui peut soit activer, soit inhiber le passage de l’information.
La biologie moléculaire a permis d’aller très loin dans la compréhension du microcosme synaptique. En effet, dans la fente synaptique, dont le diamètre est de 1 à 3 µ, s’opèrent des mécanismes ioniques et enzymatiques complexes, mais bien réglés.
Sans entrer dans le fin détail, qu’on peut lire dans l’ouvrage de Julien Barry (1995), les ions calcium, grâce aux courants de dépolarisation, entrent par les canaux calciques présynaptiques, ce qui active le système calmoduline-dépendant et favorise l’association de synapsine I avec les microvésicules. Les potentiels postsynaptiques, d’amplitude faible, de l’ordre de 100 µV à 10 mV, sont soit hypopolarisants et excitateurs, soit hyperpolarisants et inhibiteurs. La réponse finale du neurone postsynaptique dépend de la mise en jeu de canaux ioniques chimiodépendants, primaires et secondaires, correspondant à des récepteurs spécifiques. Ce bref aperçu de la complexité synaptique a pour but de montrer l’existence d’une organisation rigoureuse et reproductible de mécanismes de transfert d’information opérant à des niveaux moléculaires.
La conséquence finale est le potentiel d’action des neurones, d’une amplitude de l’ordre de 100 mV, apparaissant en tout ou rien, à la suite d’une sommation temporelle et spatiale de microactions synaptiques avec un seuil de déclenchement. Les synapses peuvent se faire d’un axone à une dendrite ou à un corps cellulaire, par des boutons synaptiques, ou encore entre dendrites de différents neurones. Toutes ces variétés de synapses permettent toutes les interconnexions possibles. Quand on transpose la discontinuité synaptique des réseaux neuronaux à l’échelle du cerveau tout entier, on comprend quelle machinerie impressionnante préside à tous les phénomènes de pensée, avec le jeu subtil des activations et des inhibitions neuronales, permettant des interconnexions extrêmement variées. Nous voyons ainsi qu’il n’y a pas, comme le croyaient les anciens, un chef d’orchestre mental, placé dans un système particulier identifiable du cerveau, mais plutôt une masse critique de colonnes neuronales actives.
1 Repris du Programme Homme, P.U.F., 2003 ; pp 99-107